BAS LES MASQUES CHEZ CANAT

La pénurie de masques durant la crise sanitaire provoquée par le COVID 19 a suscité moult initiatives d’entreprises et de particuliers pour permettre des approvisionnements en grandes quantités. A Millau, plusieurs structures ont su adapter leurs outils techniques dans cette optique. Mais pourquoi l’entreprise Canat, seule entreprise du Sud Aveyron spécialisée dans le domaine textile, n’a-t-elle pas pu produire de masques ?

Produire français et produire local. C’est le leitmotiv apparu durant cette pandémie sanitaire.  Avec en parallèle de ce bel objectif, une autre litanie, l’approvisionnement en masques devenu d’une grande complexité au fil des semaines.

Et en toute logique, à Millau, comme en d’autres villes de France, pointait l’idée séduisante de voir apparaître une fabrication locale de masques. Avec en filigrane l’exigence de couvrir les besoins pour toute la population millavoise à la date du déconfinement de mi-mai, comme se l’imposait la municipalité de Millau.

Christophe Saint-Pierre maire de Millau lors du dernier Conseil Municipal de son mandat

Après une première phase où les initiatives émanaient de couturières isolées, intervenaient ensuite le précurseur « Voile en sac », puis « Bleu de Chauffe », évoluant de leur production habituelle de sacs en voile de bateau recyclée pour le premier, et de sacs de luxe en cuir tanné végétal. Avec une belle efficacité pour l’entreprise de St Georges capable de produire assez rapidement une quantité d’environ 5000 masques par semaine.

C’est donc tout naturellement que la Mairie de Millau, en recherche d’un fabricant disposant d’une capacité de production de 25.000 masques à un tarif correct, se rapprochait de « Bleu de Chauffe ». L’opération paraissait très bien engagée mais les demandes massives émanant du monde entier provoquaient des problèmes d’approvisionnement des matières premières. Et comme le raconte Laurent Drajkowski, chef de cabinet du maire Christophe Saint Pierre : « En un week-end, la matière première nous est passée sous le nez ! »

Avec comme conséquence, l’impossibilité pour « Bleu de Chauffe » de pouvoir répondre à la demande formulée par la Mairie, tant en quantité qu’au niveau du tarif, qui aurait explosé pour atteindre 8 à 10 euros. Et l’obligation pour l’équipe municipale de repartir à la chasse pour trouver un produit accessible en tarif et disponible en quantité pour la date du 11 mai.

Une recherche s’appuyant sur des contacts avec 30 fournisseurs pour finalement aboutir au choix d’une entreprise du réseau APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris), proposant des produits respectant les normes AFNOR, à un prix correct, et garantissant aussi les délais de fournitures.

Toutefois avant de se tourner vers une société extérieure, les contacts avaient été pris avec la société Canat, seule structure spécialisée dans la production textile dans le Sud-Aveyron. La Communauté de Communes du St Affricain l’avait également identifiée comme une possibilité intéressante.

Mais cette belle solution théorique n’a pu se finaliser. Le timing n’y était pas favorable, avec le redressement judiciaire de l’entreprise qui venait tout juste d’être prononcé, le 10 mars, par le Tribunal de Commerce de Rodez. Une mesure prise face aux très mauvais résultats connus par l’entreprise durant ces dernières années, après son rachat en 2011 par Lazare Sellam, de la société SOFT de St Denis.

Avec en conclusion dès 2016, une forte chute du chiffre d’affaires, qui s’est étiolé de 11,5 millions en 2011 à 4.5 millions l’année dernière, la fermeture de plusieurs magasins en France, la perte de sa position de leader européen de la lingerie de nuit, et un gros trou financier, plus de 400.000 euros en 2018 (derniers comptes disponibles).

Du fait du statut de redressement judiciaire, c’est désormais l’administrateur judiciaire Jean François Blanc de Rodez, qui est en charge des actes de gestion courante, dans l’attente qu’une solution de poursuite ou de reprise puisse être trouvée.

Une situation évidemment peu propice à une évolution vers une production de masques, exigeant l’achat d’une quantité importante de matière première, qui se situe de facto hors champ d’action de l’administrateur, seulement autorisé aux paiements des factures courantes dans la continuité de l’activité habituelle.

S’ajoute aussi à cet aspect juridique, un autre problème majeur : le manque d’outils de production et de couturières. Car en réalité, la structure millavoise ne fabrique plus grand-chose sur site. C’est maintenant au Maroc, en Tunisie, en Chine, que sont produites les pièces de lingerie diffusées sous les marques Canat, Belamy, Teccia, Louva. Et à Millau, ne sont réalisés que les prototypes, exigeant un tout petit nombre de machines à coudre et de personnel qualifié pour la couture.

Lors du dernier Conseil Municipal de Millau, des observateurs masqués pour assister aux débats

Du coup, un virage vers la fabrication de masques s’avérait complexe à effectuer, à moins d’une volonté forte de son propriétaire, Lazare Sellam. Mais cette diversification n’a pu être menée, même si comme me l’explique un très bon connaisseur du dossier, il aurait suffi d’investir dans une machine d’un coût de 60.000 euros, et de bâtir des équipes travaillant en trois huit, pour être à même de jouer un vrai rôle dans la production de masques FFP2 et chirurgicaux. Car c’est la fabrication de ces masques très techniques, destinés aux personnels médicaux, plutôt que des masques en tissu, qui lui apparaissait comme une opportunité à saisir sur le long terme.

Un choix judicieux à considérer qu’en ce début juin, un peu partout à travers la France, les entreprises qui ont choisi de se structurer pour produire des masques tissus, sont très moroses. Les perspectives de vente se sont brutalement écroulées, après la fourniture en masse de la plupart des villes en France. Et surtout, comme l’a expliqué aux Echos, leur syndicat professionnel, « Unitex », ces entreprises ont aussi eu la mauvaise surprise de constater, deux semaines après le déconfinement, le retour d’achats massifs à l’étranger, en particulier en Chine. Y compris par l’Etat, et les collectivités territoriales, qui semblaient tant vouloir favoriser les produits « Made in France ».

Le confinement terminé, les dures règles de la réalité économique ont repris leurs droits. Pour « Canat », les choses n’ont guère évolué, son avenir proche n’est plus suspendu maintenant qu’à une offre de reprise, qui ne s’est pas encore concrétisée à un niveau décent. Et c’est donc probablement une liquidation qui devrait être prochainement prononcé, avec en corollaire une vente aux enchères des différents actifs, y compris la marque Canat, et malheureusement le licenciement des 40 salariés millavois. Les masques n’ont pu changer la donne pour cette entreprise vieille de 100 ans…

Texte réalisé à Millau le 7 juin 2020 par Odile Baudrier