IL EST BEAU LE TARN COMME CELA

Yoann Bréchou était né pour vivre au bord d’une rivière. Ce kayakiste averti s’est installé il y a 6 ans à Millau pour vivre de sa passion mais aussi pour faire parler la nature, l’expliquer, la faire aimer. Devenu propriétaire du site Acroparc du Mas avec Rémi et Gilles, il a essuyé coup sur coup le confinement puis la crue du 12 juin. Rencontre

Ce n’est ni le Zambèze, ni le Colorado, ni le fleuve Congo, c’est tout simplement  le Tarn. Cette rivière, notre bien-aimée, cette belle aventureuse, cette belle capricieuse s’offrant parfois de grandes colères, un torrent de jurons, une mise à nu, dépouillée de mille jupons.

Des instants de liberté pour écumer, vitupérer, tordre, éroder. A la conquête du grand large, de ces plaines fécondes, rivière enfiévrée, rageuse et ravageuse. Illiade d’un jour, d’une nuit tout au plus, notre mal aimée, la combattante, l’extravagante, parfois sans prétexte,  sinon une délicate jubilation. Pour ainsi dévaler, délaver, jouir, s’enfuir, mais aussi rugir et détruire, abrasive et punitive laissant sur ses flancs des plaies béantes pour construire sa légende.

Dimanche, c’en était fini de cette folle embardée, de cette virée houleuse, de ce grand délire aqueux, le Tarn couleur café crème virant sur le praliné, juste ondulant, comme repu après avoir charrié sa colère, ses aigreurs, réinstallé tranquillement dans son lit encore mal bordé, laissant les bas-côtés tuméfiés, scarifiés.

L’eau, c’est un aimant. C’est prendre la main de cette échappée belle, se faire ombre chevalière, une simple affaire courante entre deux rives comme frontière naturelle que vous soyez mariniers, éclusiers, paludiers,  passeurs d’eau et autres pêcheurs au carrelet. Pour Yoann Bréchou, sa définition est simple «c’est un espace de liberté ».

Ca ne s’écrit pas au dessus du berceau, mais Yoann n’a pas échappé à un certain destin, celui de vivre près de l’eau et sur l’eau. Il doit cela, un peu, beaucoup par filiation à son arrière-grand-père Marcelin. Il fut braconnier entre les Vignes et La Malène «il pêchait pour se nourrir, même en février, il allait caver les truites et il n’avait pas peur de se mettre à l’eau pour traverser le Tarn alors qu’il ne savait pas nager pour fuir les gardes». La rivière nourricière, le Tarn en garde manger, des histoires à se jeter à l’eau tout habillé pour se laisser dériver, simplement rêver, Yoann est devenu kayakiste «j’ai toujours vécu en lien avec l’eau. J’ai toujours gravité autour de l’eau. Je rêvais même d’être garde de pêche».

Dix années de natation au club de Bergerac en Dordogne et le voilà, une jupe en néoprène autour de la taille à glisser, à tournoyer, à esquimauter  « j’étais en BTS gestion et protection de la nature et lors d’un stage, le kayak, c’est devenu une évidence. C’est un sport, mais c’est aussi un outil d’animation, pour accéder au milieu naturel ». Avec son Jyje et sa combin., il devient rapidement moniteur dans un centre vacances aux Vignes, comme un retour aux sources, premier coup de pagaie dans ce grand bassin d’eau vive naturel qu’est le Tarn «je mixais nature et kayak. Tout d’abord, tu expliques le côté technique et quand tu as les bases, tu peux rentrer dans un mode contemplatif et tu expliques le milieu. On développe l’éducation à l’environnement par la découverte des sports nature». Puis il s’installe sept ans dans les Cévennes, au bord de l’eau bien entendu, une simple passerelle brinquebalante pour rentrer chez soi posée à huit mètres au dessus de l’eau. Le nom du lieu dit : Bussat non loin de L’Estrédure.

L’eau, c’est une musique, c’est un langage. La rivière nous parle, conversation intime, insinuation, intimidation, invitation, elle offre une lecture à ciel ouvert pour comprendre ce grand flot souvent paresseux, langoureux, parfois fantassin et assassin. Chaque année, immanquablement, le Tarn bien entendu, la Haute Dourbie aussi mais également tous ces petits gardons et autres pissallous gonflent foldingues, lors des épisodes cévenols. Des feux d’artifices, un spectacle «j’étais impressionné par la puissance, ce sont des moments exceptionnels de liberté, la vraie liberté, des moments rares, quoi, une dizaine de jours par an ? Tu cherches tes limites. Mais tu apprends vite à ne plus naviguer sur la montée. Les arbres, ce sont de vrais baobabs».

Vendredi 12 juin, les baobabs ont brisé leurs chaines pour défiler en rangs serrés comme des boas géants sous le nez de Yoann, de Rémi et de Gilles, les nouveaux propriétaires de l’Acroparc du Mas, prêt bancaire en poche la veille du confinement après 8 mois de bataille avec les banques. Médusés, chamboulés « nous avions un œil sur Vigicrue car nous avions prévu une sortie canyon. Nous pensions l’annuler et remplacer celle-ci par du raft. On annonçait 20 mm de pluie mais il en est tombé 400 mm».   A 8 heures le matin, Vigicrue annonce 7 mètres à Pont de Mauvert, les nouveaux entrepreneurs sonnent le signal de détresse « nous avions dix heures pour sauver le site».  Un site populaire et familial apprécié pour sa fraîcheur, sous ces grands arbres, à l’entrée des gorges, un lieu immanquable avec son toboggan bleu et jaune délavé émergeant tel un vestige d’une base de loisir de l’ex empire soviétique.

Pour la première fois, Yoann Bréchou, bottes aux pieds, pelle en main, maudissait ce Tarn bien aimé. Pour la première fois, la rivière avait le dessus, imposant sa force, son déchaînement, s’évadant insolente dans cette plaine pour venir dégueuler son infâme limon, épais et gluant.

En ce dimanche matin, Yoann a repris des couleurs, son éternelle casquette relevée sur le front pour se laisser griser par un soleil éclatant. On fait le tour du propriétaire, deux mois de travaux en plein confinement souillé en seulement trois heures de folie, une malédiction. «T’imagines, Rémi a posté son message hier. On a eu de suite des appels «on peut venir vous aider». Aujourd’hui, on en est à 10 000 vues et plus de cent partages. Ca remet du baume au cœur car on avait pris un sacré coup de matraque sur la tête, et là, ce soleil, ces bras pour nous aider…».

Nous longeons le bord du Tarn en surplomb. Nous stoppons près un arbre tronqué. Il m’explique «la mascotte du Parc a disparu, c’est un singe, il s’appelle Mati comme la peluche de mon fils». Je lui réponds «mais l’enseigne, c’est l’eau qui l’a emportée ?». Il sourit et savoure les deux mains sur le ventre «mais non, c’est une intrigue, c’est l’intrigue de notre C.O. Nature». On se marre, j’ajoute «j’ai marché à fond, j’y ai cru à ton histoire de disparition». Il m’explique «ici, nous ne sommes pas les seuls habitants, il y a des tritons dans une marre, des castors, la chouette hulotte, la couleuvre, la huppe».  Il ne termine pas sa phrase, il se penche pour saisir un tronc d’arbre. Il se redresse, il s’interrompt «tu entends le loriot», puis nous avançons dans les hautes herbes pour certaines encore couchées et lissées, comme défrisées par la puissance de l’eau. L’arbre déposé, Yoann de s’extasier le regard dégoulinant de miel «il est beau le Tarn comme cela».

Texte et photographies réalisés les 13 et 14 juin 2020 à Aguessac à l’Acroparc du Mas – pour plus d’infos : www.acropac.fr

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