DES CHRYSANTHEMES SOUS HAUTE TENSION
Je me souviens d’une piste noyée dans un brouillard épais comme du saindoux.
Je me souviens de notre « deuche » se dandinant tranquillement, les essuies glaces en rafale, la tirette du chauffage toute à droite.
Je me souviens de cet arrêt quelque part, un nul part, sans forme, sans contour, dans un silence isoloir, sans pouvoir distinguer le moindre muret, le moindre bâtiment, la moindre cheminée de la ferme des Homs.
Je me souviens avoir grimpé sur un talus, avoir tourné en rond comme un chien de garde sur les rebords indécis de cette petite dépression, en quête du moindre bruissement.
Je me souviens m’être posé cette question « mais elle est où cette éolienne ? ».
Un jour de Toussaint sur la route de Saint Victor et Melvieu, les Raspes fouettées d’une pluie en rideau, incisive et punitive, les souvenirs sont remontés à la surface comme lorsque l’on brouille le sédiment pour faire briller le mica. Les souvenirs dilués d’une virée sur le Larzac, ma première, à la recherche de cette éolienne financée par des dons participatifs. Le crowdfunding n’existait pas. Autre temps, autre méthode, on remplissait un chèque avec un BIC, le montant en francs faut-il le rappeler !, on découpait un bon dans « Le Sauvage » – fallait-il être abonné à cette première revue écolo créée en 1973 – on léchait le rebord d’une enveloppe et on postait le tout dans la première boîte aux lettres venue, trônant au coin de la rue. Viva la vie, l’âge des utopies, l’âge où l’on refuse les mises au pli.
Il y a bien longtemps que la petite éolienne des Homs ne tourne plus en grinçant sur son axe. Il n’y a pas si longtemps que la petite éolienne de l’Amassada ne tourne plus au gré des vents d’autan. Car le 8 octobre dernier, les rares lampions se sont éteints, ce lieu de résistance à l’implantation d’un méga-transformateur a été rasé, souffle coupé. Rien n’a résisté, les écrous ont sauté, clous, rivets et pointes ont cédé, le premier chalet construit en mode fortune, récup et bon vouloir « dynamité » sous la charge des bulldozers.
Trois semaines après cette évacuation prévisible, la motivation des Zadistes reste-t-elle indéfectible ? En ce jour de Toussaint, jour des cimetières, du marbre froid et des larmes chaudes, 200 jeunes hommes et jeunes femmes cagoulés et habillés de noir, quelques paysans visages découverts, quelques élus locaux, quelques vieux militants, certains assagis, d’autres insoumis se retrouvent chrysanthèmes sous le bras, au vieux stade de foot gorgé d’eau, banderoles boueuses et boucliers de fortune à l’épaule…Au sommet de la colline, en riposte, au pied d’une grue et d’un carré de pré ceinturé, cinquante gendarmes et gardes mobiles sont déployés, bottes au pied, chiens muselés. Dans un algeco, un officier surveille sur écran plat divisé en quatre, les mouvements à travers cette colline boueuse. Il n’entend pas les slogans habituels, flics impassibles, quelques jets de gaz lacrymo, les deux colonnes reculent, se désagrègent, émiettement. Elles se recomposent et reculent à nouveau dans un chemin ruisselant. Un classique du genre.
17 heures, sous un ciel bas accablant, léchant la cime des arbres, les âmes détrempées sont à la peine, les tambours ne résonnent plus, un paysan de lâcher, accroché à son parapluie «j’ai besoin d’un café«, un vieux de la vieille de dire «mais il est où Bové ? » Hein, il est où ?». Une militante énervée invective une jeune journaliste, celle-ci de répondre «mais tu vas arrêter de me chercher». Un GM est blessé. Allongé dans un fossé, on lui arrache délicatement son casque. Il est sonné. Plus loin, à rebrousse poil, dans un groupe, une voix féminine s’élève «ceux qui veulent parler…». La phrase reste en suspens. Pour se retrouver, se réchauffer, se ressouder…un après midi d’enterrement, c’est finalement toujours triste.
PORT FOLIO
Texte et photographies réalisés St Victor et Melvieu – Aveyron lors d’une manifestation de soutien à lla ZAD de