POUR FAIRE PARLER LES PAYSAGES
Depuis 2018, Pierre et Francine Vergely gèrent Le Salon, une galerie accueillant des photographes de renom tel que Thierry Vezon actuellement. Rencontre dans ce lieu magnifique qui fut autrefois un salon de coiffure.
Gouttes d’eau en ricochet, croûtes d’eau salée, filets d’eau enserrés, la Camargue qui vous nargue.
Méandres zébrés, courbes déliées, strates empilées, couleurs fracassées, concassées, la Camargue bavarde, dans la symphonie des sens.
Hérons cendrés en échappées belles, flamands roses en balade, déployés en éventail, courlis cendrés aux pattes arquées, l’aigrette nichée dans les roseaux à jouer la poudre d’escampette, la Camargue en survol, en envol, en alarme, en parade.
Thierry Vezon, c’est l’œil de la Camargue, lui aussi en survol, pour creuser, percer le mystère de ces couleurs, des langues rouge sang, du pourpre éclatant, des bleus camaïeux, du drapé de violet, au loin en délavé, dans les sous couches, des villes fantômes, New York, Dubaï… ??? Des forêts fantômes… ??? S‘interroger n’est pas à craindre, tout peut s’imaginer dans l’impressionnisme de ces instantanés.
Dans cette galerie photo, les tirages de Thierry Vezon sont éclatants, le sel craquelé en mille isocèles nervurés, géométrie de l’imprévu, de l‘irrationnel, aux formes parfaites, André Vergely souligne «c’est normal, c’est un prof de maths».
La galerie Le Salon ouverte en juin 2018 par Pierre et Francine Vergely, est un petit mouchoir de poche brodé, les broderies, ces tableaux accrochés sur ces murs d’un blanc parfait. Rentrons.
Quelques marches à descendre, une porte à pousser, deux autres marches en bois vernis à dévaler et cette longue pièce en suppositoire illuminée. Au fond à gauche, une petite alcôve et si la curiosité est acceptée, en poussant la petite porte du fond, une belle vue sur le Vieux Moulin et sa passerelle s’offre au regard, le Tarn, sa jetée et sur l’eau quelques cygnes dans la lenteur, tout en candeur.
Les vieux Millavois ont sans doute encore en mémoire ce salon de coiffure, le salon de Louis, le grand père puis de Paul le père de Pierre Vergely « je me souviens encore des odeurs. Les bonnes odeurs. Elles prenaient à la gorge mais surtout je me souviens de l’odeur des ouvriers mégissiers. Ils venaient se faire couper les cheveux, ils laissaient des odeurs fortes de peaux tannées. C’était avant tout un salon populaire». La longue pièce était séparée en deux, à l’entrée pour les hommes, au milieu pour les femmes et à l’arrière sous l’alcôve, la partie atelier «mon père était coiffeur mais également gantier. Entre deux coupes, il cousait des gants». Sa table de travail est encore là, seul témoin d’un passé illustre d’une ville besogneuse et laborieuse aux mille petites mains de l’ombre pour ganter les belles de jour.
Pierre Vergely n’a pas suivi la destinée de son père, ni même celle de son oncle lui aussi coiffeur dans la marine sur le Transatlantique «Le Paris», tristement décédé au large de Douvres, embarqué pendant la guerre sur un dragueur de mine coulé par les missiles allemands.
« Mon père avait une profession de foi «il vaut mieux tenir un crayon entre ses mains qu’un outil», Pierre le fils unique en bon élève s’oriente ainsi vers la géologie. Etudes brillantes à la Sorbonne, thèse d’Etat présentée en 1985, il sourit en précisant «j’ai mis le temps pour la publier, pas loin de 14 ans dont 2 années pour rédiger les deux volumes». Sa carrière universitaire est exemplaire à Orsay Paris Sud. Il souligne «c’était l’époque de l’ascenseur social».
Avec le recul, le géologue plongé dans les entrailles de la terre pour évaluer l’écorce terrestre se contracter, expulser, se torturer ou s’assagir pour s’adoucir, ce spécialiste de la tectonique cassante des failles pourrait affirmer «la vie, ça passe vite». A peine un battement de cil comparé aux 186 millions d’années du mésozoïque, une vie de passion, de voyages, d’études à travers le monde comme chercheur et directeur de thèses en Grèce, en Chine, aux Etats Unis, au Niger.
La retraite, ce temps de pose qui s’impose, on la tient en joue « toi, je t’ai à l’œil ». Finalement, elle s’invite et s’impose tout naturellement à ce couple sédimenté sur les bancs de La Sorbonne, Francine elle aussi étudiante en géologie charmée par cet homme passionné venu lui expliquer comment réaliser une carte de coupes géologiques.
Passeport froissé, direction Saint-André de Vézines, ce village qui s’offre un droit de regard à la fois sur le Causse Noir et au loin, sur ce grand mage qu’est le Mont Aigoual en embuscade. Une évidence pour Pierre et Francine, le géologue de souligner «j’aime l’espace libre. J’adore les paysages lisibles, les paysages que l’on peut faire parler ». Pour le faire disserter, il n’y a pas loin aller, quelques enjambées pour s’émerveiller devant les dents de Roquesaltes, en contre bas, le Dromadaire, le Roc Banut, dame blanche et cavalier noir sur cet échiquier de roches dolomitiques s’offrant en spectacle éternel au dessus de la Dourbie. Sans paroles savantes, sans Carbone 14, pour se laisser guider en toute simplicité par un tel enchantement.
La photo, elle s’est imposée tout naturellement, du 24 mm pour allonger les horizons lointains à la macro pour l’infiniment petit. Une nécessité, bien évidemment, pour expliquer et enrichir la pensée et les interprétations du scientifique sur cette écorce terrestre en souffrance «pour faire vivre l’espace» soulignent-ils en cœur, eux qui ont connu les dernières heures de la Sorbonne, les salles au bois vernis, l’odeur de la cire, les parquets craquants.
A Saint André de Vézines, le couple s’installe et s’adapte «nous organisions des stages de lecture de paysages pour les étudiants. Aujourd’hui encore, nous proposons des circuits d’interprétation des paysages «ils sont là pour être expliqués» commente Francine, l’ancienne prof de sciences nat. Avec un petit brin de malice dans le regard, elle raconte « un jour je discute avec le boulanger. Il faut toujours parler avec son boulanger. Il m’interroge sur les voyages de Pierre au Niger. Il me dit «moi, je n’ai jamais voyagé». Le pain sous le bras, en rentrant, elle pense et si nous exposions ces photos. C’est le début d’une histoire de village qui se mobilise «on a trouvé des draps, des grilles, des palettes. Cela a duré cinq – six ans».
Le projet de créer une galerie consacrée à la photographie est né ainsi sur cette expérience d village. Pourquoi ne pas aller plus loin ? Simplement oser «nous ne connaissions personne mais nous avions un lieu» cet ancien salon fermé en 1986 à la retraite sonnée de Paul, l’ancien coiffeur – gantier, peignes, ciseaux, tondeuses et bigoudis remisés. Un projet sacrément «culotté» pour ces novices, à contre courant du petit monde «cultureux» ambiant. Certes dépositaires d’un petit bijou, cette pièce d’un blanc monacal, petite chapelle pour que l’image devienne vitrail, mais loin des ramifications d’un milieu hétéroclite de l’intello ombrageux, Leica argentique sur le nombril et l’instagrameuse compulsive aux clichés filtrés et trafficotés.
L’architecte Jean Milleville met sa patte dans le projet, Karine Orcel donne son soutien et «Le Salon» ouvre le 1er juin 2018. Le photographe Philippe Crochet essuie le plâtre frais et étrenne le premier les cimaises «ce sont des amis, Corinne et Alain de la grotte de Dargilan qui nous l’ont fait connaître. Je suis allé le voir. Il m’a dit «allez y choisissez. Il y avait 150 tirages. Nous avons fait deux expositions». Et devinez le thème ?…Le monde souterrain…pour «faire parler les paysages». Comme une évidence !
Texte et photographies réalisés les 11 et 12 juin 2020 à Millau – pour infos : www.lesalon12.com