SECRET STORY A SAMBUCY
Chaque année, le château de Sambucy ouvre les portes de son jardin à la française lors des Journées du Patrimoine pour que les Millavois puissent admirer ce parc arboré et cette broderie de buis, magnifique parterre végétal au pied de cet édifice datant de 1679. Déambulation curieuse et poétique au pied de ces grands cèdres vieux de 250 ans, ancêtres vénérables garant de l’histoire des lieux.
Petite déambulation châtelaine, pourquoi s’en priver ? Pas besoin de chaussures vernis, de queue de pie. Pas besoin de carton d’invitation rédigé sur un beau vélin lisse et fin dans un très chic Harlow Italic. Pas besoin de majordomes en haut de forme un peu grotesque. Pas besoin de faire semblant, de faire le beau, le riche et le savant.
C’était donc dimanche au château. J’ai poussé comme d’autres roturiers de mon espèce la porte métallique de l’hôtel de Sambucy. Belle entrée pavée, belle cour carrée, devant moi le corps de logis au toit galbé, d’inspiration italienne, aux formes généreuses et ardoises luisantes sous un beau soleil d’une fin d’été. J’ai payé mon obole, 2 euros, et avec curiosité et un brin de fierté, je me suis laissé aspirer dans cette allée ombragée conduisant à l’Orangerie.
Madame Jeanne de Sambucy était assise sous l’un des cèdres vieux de 250 ans, ancêtre des lieux aux longues ramifications comme autant de phalanges géantes pour caresser l’air du temps. Le gravier crissait sous mes pieds, piétinant une ombre généreuse. Dans l’orangerie, quelques cagettes au sol, des chaînettes accrochées au mur, une structure métallique, ornement de jardin pour géraniums en fleurs. Je me suis adossé dans l’enchevêtrement de la porte. J’ai feuilleté mon petit calepin, compagnon-guide de cette divagation urbaine et champêtre et j’ai relu ces quelques mots. Soudainement, la poètesse libanaise, Nadia Tuéni me parlait en écho, avec délicatesse d’une voix chaude et sucrée pour évoquer cet arbre puissant illuminant toutes les conquêtes en ces terres arides du Moyen-Orient :
«Je vous salue, vous qui êtes,
Dans la simplicité d’une racine,
Avec la nuit pour chien de garde.
Vos bruits ont la splendeur des mots,
et la fierté des cataclysmes.
Je vous connais, vous qui êtes,
Hospitaliers comme mémoire.
Vous portez le deuil des vivants,
Car l’envers du temps, c’est le temps».
Je me suis assis aux côtés de Madame de Sambucy. Devant nous, une petite table ronde métallique, de celles que l’on trouve dans les jardins de bonne tenue. Les bras croisés, en «maîtresse» des lieux, elle savourait ces allers-venues nonchalantes, badauds curieux dans les pas d’une guide bienveillante distillant l’histoire de ce jardin bien caché. Elle raconte «Je suis arrivé ici, en 1947 après la seconde guerre mondiale. J’avais 6 ans. Mon père, Antoine de Sambucy de Sorgues, était ingénieur chimiste à St-Girons. Pendant l’occupation allemande, seule ma mère était présente pour surveiller les lieux qui avaient été classés en urgence en 1943 en moins de 48 heures. Les Allemands avaient juste entassé du matériel dans une aile».
La vieille dame a encore l’œil vif. Elle surveille de loin, là où un tilleul remarquable distille une ombre odoriférante et apaisante, une volée de corneilles sournoises, qui une fois le jardin libéré des pèlerins viendront prendre possession des lieux. Elle plisse les yeux mais voit juste «elles nous narguent. Elles s’attaquent aux pigeons, aux canetons. On a l’impression de chats qui miaulent. On se dit «mais bon sang, leurs mamans ne leur ont pas appris à chanter !?».
Devant nous, le jardin à la française, cette broderie de buis, minutieusement taillée, toute en courbes et déliés comme des clefs de sol végétales au ras du sol. Symétrie parfaite, cercles parfaits, géométrie rigoureuse et labyrinthique, l’art topiaire dans toute son excellence. Ce jardin fut inauguré en 1999, succédant à un jardin à l’anglaise et son bassin en forme de lune accueillant autrefois les kermesses et fêtes paroissiales, les scouts, le bal de la Croix Rouge. Trois années de travaux furent nécessaires pour aboutir à ce jardin vivant, équilibré et harmonieux. Le sol fut décaissé, ce jardin fouillis et feuillu fut éclairci selon les recommandations d’une étude arboricole détaillée laissant en place cinq cèdres rois divins des lieux, des marronniers ventrus et des intrus comme ce tilleul centenaire et un mirabellier séculaire. Quant au canal, il n’y aurait pas de jardin à la française sans bassin et jet d’eau, il fut reconstruit sur la base du réseau du Bésoubie, ce ruisseau dévalant gaiement de St-Germain et Le Cresse pour se jeter au Vieux Lavoir après avoir alimenté les petits Moulins en amont puis les jardins par un jeu de canaux zigzaguant.
La propriété Sambucy a beaucoup évolué au fil du temps malgré les quatre arrêtés de classement établis en 1943 puis 1968, 1982 et enfin en 1995. Une histoire mouvementée au gré d’une urbanisation soutenue pour grimper sur les premières pentes au delà de l’empreinte de la voie ferrée actuelle qui entailla la propriété. Jeanne de Sambucy se souvient «autrefois, la limite de la ferme se trouvait au niveau de la Tour Malakoff, au stade scolaire. C’était un salon de thé. J’ai également connu la construction du CES, de l’école Jeanne d’Arc et de la cité Beauregard», la propriété sous la pression foncière rognée de parcelle en parcelle pour assurer le développement de la ville. Elle n’avait que 14 ans, elle se remémore avec forces détails la bataille avec le maire de l’époque Charles Dutheil « nous avons été expropriés en 1955 à la mort de mon père tué dans un accident de voiture ainsi que ma sœur alors que maman était entre la vie et la mort. Je revois encore la scène, là à côté de l’arbre lorsque l’on demande à ma mère de baisser le prix d’acquisition des terres. Mais ma mère, c’est une bretonne, elle a tenu bon ». Elle conclut en appuyant sur chacune des syllabes « on est attachés à notre bien ».
Je laissais Madame de Sambucy à ses souvenirs si prenants encore parfois aigus. Je marchais dans les arrondis, je me suis isolé au centre de ces cercles de petits buis, dans cette marquèterie paysagère sauvée miraculeusement année après année de la vorace pyrale. J’ai mis un pied sur le rebord cimenté du bassin, son rayon, tout juste 8 mètres. Les soirs sans vent ni clapotis, le château de Sambucy se reflète à la perfection dans les eaux du bassin. Ce soir-là, dans un ciel virant au jaune d’or, c’était le cas comme une offrande jetée dans les eaux d’un immense bénitier. Les corneilles débutaient leur vol en piqué. Je me suis approché d’un cèdre, l’un des cinq préservés, peut être le doyen. Je touchais son écorce, rides profondes comme d’immenses microsillons rugueux pour écouter l’onde secrète, ce murmure imperceptible, l’âme des lieux. Cette longue histoire, deux siècles et demi durant, le Second Empire, la 3ème République, une Grande Guerre, une Sale Guerre, un vingtième siècle qui se libère de ses grands fardeaux….les reliques des siècles et de la nature comme l’écrit Lamartine.
Une épaule contre cette paroi crevassée, j’ouvrais à nouveau mon p’tit calepin. Je marmonnais cette fin de poème »Le Secret du Cèdre» écrit en 1835 par Lamartine.
« En mémoire de ces prodiges,
Des hommes inclinant leurs fronts,
Viendront adorer nos vestiges,
Coller leurs lèvres à nos troncs.
Les saints, les poètes, les sages,
Écouteront dans nos feuillages,
Des bruits pareils aux grandes eaux.
Et sous nos ombres prophétiques,
Formeront leurs plus beaux cantiques,
Des murmures de nos rameaux ».
J’ouvrais grand les bras. J’enlaçais le prodige, le front collé à l’écorce, les doigts gluants dans la résine odorante. Parler aux arbres, écouter leur lente respiration…était-ce cela la vie de château ?