les millavois en exil
julia taurines, JURISTE EN DROIT D’asile a paris
Après Benoît Combemale, Malika El Ali, Ahmed Eddarraz, voici le parcours de Julia Taurines, exilée de Millau à Paris pour y exercer au sein de la Cour Nationale du Droit d’Asile. Très prochainement, la jeune juriste de 29 ans mettra le cap sur la Martinique, pour y travailler dans le domaine de l’application des peines.
Mon parcours vers la Cour Nationale du droit d’Asile.
Après mon bac à Millau, j’ai choisi de faire du droit. C’était plutôt parce qu’il fallait bien choisir quelque chose ! Après mon master 1 à Montpellier, je suis allée sur Paris pour le Master 2, et j’ai suivi deux ans de préparation pour le concours à la Magistrature. Je ne l’ai pas eu. J’ai alors postulé à la Cour Nationale du Droit d’Asile, où j’ai exercé un peu plus de deux ans.
Durant mon master 1, j’ai fait énormément de stages, dans tous les domaines juridiques, avocat, magistrat, institut médico légal, en police. C’est là où j’ai voulu m’orienter plus vers la magistrature, mais c’est vraiment en troisième année, que j’ai pensé que ça me plairait.
Par hasard, à la Cour Nationale du Droit d’Asile
Dans le cadre de ma prépa à Assas, il a été proposé une visite de la Cour du Droit d’Asile, pour découvrir ce qu’est le droit d’asile. Là-bas, ils nous ont dit que votre profil peut correspondre, si cela vous intéresse. Un an plus tard, j’ai postulé. Et j’ai été acceptée. C’est vraiment par hasard. On n’aurait pas eu cette visite, et on ne m’aurait pas dit que mon profil pouvait correspondre, jamais je n’y aurais pensé. J’avais fait deux heures de droit d’asile avant d’intégrer la Cour !
Mon métier à la CNDA
J’étais rapporteuse à l’instruction. Un immigré qui arrive en France et qui veut demander l’asile, dépose d’abord un document administratif à la Préfecture. Ensuite a lieu une première audience avec l’OFPRA, Office Français des Réfugiés et Apatrides, où on lui donne ou pas le statut de réfugié ou la protection subsidiaire. Si on ne lui donne pas, il peut faire appel devant la Cour Nationale du Droit d’Asile. Là, je reprends l’ensemble de son dossier. Je fais un rapport avec des recherches géopolitiques et juridiques. A l’audience, je lis mon rapport. Les magistrats posent des questions. Et décident du statut. Moi, je participe au délibéré, mais je n’ai pas voix délibérative. Je rédige ensuite la décision derrière. Je faisais tout sauf décider.
C’est vraiment un poste intéressant. On apprend énormément de choses. Géopolitiquement, c’est énorme. Et même juridiquement. On suit tout le parcours d’une affaire, de l’instruction à la décision. Le rythme est soutenu. Chaque rapporteur a une norme à respecter, de 325 dossiers par an.
La cour du droit d’asile est la plus grosse juridiction administrative de France. Les chiffres sont impressionnants (plus de 58.000 recours en 2018). Il y a six sections, chaque section est divisée en 3 ou 4 Chambres, avec une dizaine de rapporteurs dans chaque chambre. Des présidents vacataires viennent d’autres juridictions pour assurer les audiences. Sinon, il ne serait pas possible de faire face.
Une enquête géopolitique au quotidien
Pour préparer le rapport, on fait une enquête sur le contexte du pays. Par exemple, pour un militant politique, on essaie de vérifier s’il a participé à une manifestation qu’il a indiqué, en regardant si cela correspond selon nos sources géopolitiques. Aussi on enquête sur la région. Par exemple, pour des Afghans, ou Libyens, on essaie de savoir d’où ils viennent exactement, pour savoir s’ils sont réellement afghans ou pas.
En fait, à la Cour, nous ne voyons les réfugiés qu’à l’audience, sur un temps court. A l’OFPRA, les réfugiés passent une heure ou deux en tête à tête avec l’officier de protection. Je pense que c’est plus violent. La première fois qu’ils parlent à leur interlocuteur, à l’OFPRA, ils sont seuls, sans avocat. Nous, ils sont accompagnés par leur avocat. Mais il y a toujours des situations, où ils sont au bout du rouleau, psychologiquement, physiquement. Ils sont dans une grave précarité.
On sait bien qu’il y a des personnes extrêmement vulnérables, mais qui ne rentrent pas dans le cadre de l’asile, ou bien qu’on ne croit pas. Car pour certaines personnes, leur histoire est vraie, et nous ne les croyons pas, et à l’inverse, d’autres jouent un peu plus et sont protégées, alors qu’ils ne le mériteraient pas au sens du droit d’asile. De toute façon, leurs parcours sont forcément difficiles. Il y en a peu qui arrivent en avion, en disant Coucou, c’est moi, je viens m’installer en France…
Des parcours tellement tragiques
Comme on étudie le dossier à l’avance, on sait toujours vers quoi va nous mener le dossier. Mais évidemment, il y a des dossiers plus difficiles. Sur ma dernière audience, il y avait une mère qui était partie avec ses deux filles pour leur faire échapper à l’excision, et elle a perdu ses deux filles en mer. Elle nous disait « Je suis partie pour les protéger, et en fait, je les ai tuées ». C’est un parcours horrible, et c’est une parmi tant d’autres… Toute la journée, gérer des cas comme ça, ce n’est pas toujours facile. Parfois, quand on rentre chez soi, cela permet de relativiser !
Le COVID ralentit le droit d’asile
La juridiction a été fermée pendant tout le premier confinement. Ca a retardé les délais qui sont déjà assez longs en droit d’asile. A la réouverture, les audiences se tenaient avec un juge unique. Normalement, les procédures prévoient un juge seul, ou une audience à trois juges. Cela dépend du délai, du pays d’où il vient : certains pays sont considérés comme « sûrs », et par principe, ils comportent peu de risques géopolitiques. Ces cas sont tranchés par un juge unique. Mais à la fin du confinement, la décision que toutes les audiences soient tenues par un seul juge a été contesté devant le Conseil d’Etat. Celui-ci a sanctionné, en précisant que le collégial est la norme dans cette juridiction et qu’on n’a pas le droit d’y déroger pour des raisons sanitaires. Quelques audiences ont été annulées pour ce motif. Du coup, la Juridiction a recommencé à tourner à plein régime seulement au mois de septembre. Beaucoup de dossiers sont restés en retard. Surtout que les contractuels sont en statut précaire. Les premiers contrats étaient de trois ans, et ils ont été raccourcis à deux ans. Cela ralentit les cadences.
Le départ du droit d’asile
J’ai décidé de quitter le droit d’asile, pour retourner vers le droit judiciaire, je vais travailler en Martinique avec des magistrates à l’application des peines. Au bout de 2 ans et demi, je pense que j’avais fait le tour du métier. Géopolitiquement, ça évolue tout le temps, et j’avais des dossiers plus complexes, ça devenait plus intéressant. Mais la vie à Paris commençait à me peser, le confinement n’a pas aidé, et la situation actuelle est difficile. Paris sans la culture, les bars, les restaurants, ce n’est plus Paris ! Il n’y a plus aucun intérêt. J’ai eu aussi une envie de soleil ! Et aussi l’envie de revenir vers le judiciaire qui était mon premier objectif. J’ai postulé pour le Martinique et j’ai été prise en trois jours, avec demande de venir en urgence. Je reviens plutôt vers ce que j’avais prévu dans mon parcours « idéal ». Je passe d’une juridiction administrative à une administration judiciaire.
Mon nouveau job à la Martinique
Je serai juriste assistante. Je vais travailler avec trois magistrates à l’application des peines. Je vais avoir en charge l’application des peines automatiquement aménagées. Cela concerne les personnes condamnées à une peine de 1 an de prison, et qui, dans ces cas-là, ne vont pas en prison. Moi, je vais discuter avec eux pour voir comment on peut aménager cette peine-là. Qu’est-ce qui correspond le mieux ? Et il y a aussi un volet du travail en prison. La prison en Martinique est dans un état déplorable. Elle a été sanctionnée par toutes les instances françaises et européennes, pour la mauvaise qualité de la prison. Les magistrates veulent établir un état des lieux de la prison, savoir où sont les problèmes, et essayer de les régler. Je serai l’interface pour savoir si les détenus ont des questions sur leur parcours d’aménagement de peines.
C’est complètement nouveau. J’ai fait mon stage de 15 jours en prison. C’est la première fois où deux fois par mois, j’irai en détention rencontrer des détenus. Je ne m’inquiète pas : ils ont tout intérêt à être gentils avec moi puisque je suis là seulement pour aménager leur peine, et qu’ils ont déjà été condamnés !
Un statut précaire
C’est un poste de contractuel pour le Ministère de la Justice. J’étais déjà contractuelle à la Cour du droit d’Asile. Ce sont toujours des statuts précaires. Moi, j’aurai un contrat de 3 ans, renouvelable une fois, pour un maximum de 6 ans. A la Cour d’Asile, c’est la même chose, mais il n’y a aucune perspective d’évolution. Le rapporteur peut passer chef de chambre, et c’est tout. Il faut passer les concours pour devenir fonctionnaire, et pouvoir naviguer dans les Ministères.
L’Aveyron à Paris, l’Occitanie en Martinique
Au départ, je suis partie à Paris un an pour mon master. Je craignais la vie à Paris. Et j’y suis restée quasiment 6 ans. Je me suis plutôt bien adaptée, je m’y plaisais. J’ai logé à l’Oustal des Aveyronnais. C’est bien pratique, cette communauté aveyronnaise. C’est l’Aveyron à Paris. Je me suis retrouvée avec deux amis du lycée dans l’immeuble de l’Oustal ! On n’est pas perdus. D’ailleurs en Martinique, la propriétaire de mon appartement est de Montpellier, et je vais loger dans une résidence qui s’appelle l’Occitane !
Le plus difficile sera d’être loin de mes amis. Je reviens à Millau, à Noël et l’été aussi. J’y ai beaucoup d’amis d’enfance. Mes parents pourront peut-être venir me voir, en fonction de la réouverture de leur restaurant La Mangeoire. Jusqu’à ce que je sois partie à Paris, je rentrais tous les week-ends pour travailler au restaurant. Et tous les étés. C’est une entreprise familiale. Ma sœur, qui y était moins, y travaille depuis deux étés. C’est une certaine facilité à avoir un job étudiant, et en même temps, une contrainte car on n’a pas trop le choix que d’aller les aider si besoin ! Cependant, il n’a jamais été vraiment question que je reprenne. Mes parents m’ont toujours dit « Fais quelque chose, et si tu veux y revenir, tu pourras. ».
Entretien réalisé par Odile Baudrier
Photos : D.R