PHILIPPE CARRIERE, témoin sur le suicide de son fils
Chaque année, près de 10.000 suicides ont lieu en France. Philippe Carrière a été touché par un tel drame, avec la disparition de son fils Dorian, à 21 ans, et a accepté de témoigner sur la difficulté de vivre de son fils, sur le traumatisme vécu par son suicide. Le Millavois installé maintenant à Mostuéjouls a su trouver des forces intérieures pour rebâtir sa vie, et veut transmettre un message d’espoir aux autres parents concernés par une telle tragédie.
Je souhaitais donc recueillir ton témoignage sur l’évènement dramatique qui a bouleversé ta vie il y a 4 ans, le suicide de ton fils Dorian, à 21 ans. D’abord, j’aurais souhaité que tu nous expliques pourquoi tu as accepté cet entretien, pourquoi tu souhaites témoigner sur ce traumatisme ?
Il y a une douleur qui est persistante, mais avec laquelle on peut vivre. C’est aussi pour ça que je veux témoigner. Ce n’est pas parce qu’on souffre qu’on ne peut pas continuer à vivre correctement, de façon heureuse. Et en même temps il y a une espèce de frustration de ne pas pouvoir en parler. La douleur est quotidienne. Il y a le suicide, et aussi la perte d’un enfant, qui peut arriver d’autres façons. On vit avec mais on ne peut pas en parler tous les jours, on ne peut pas infliger ça tous les jours. Car on ressasse. Il faut aussi sortir de ça. C’est quelque chose qui vient ponctuellement, mais on ne peut pas en parler tout le temps. Là, avec cet entretien, c’est l’occasion de faire partager à ceux qui l’ont vécu ou qui vont le vivre, car malheureusement, il y a environ 10.000 victimes de suicides par an. On peut le corréler avec les accidents de la route, et on ne met pas les mêmes moyens pour la lutte et la prévention du suicide. C’est la raison pour laquelle je trouvais intéressant de témoigner sur ce sujet-là, avec lequel je n’ai aucun souci.
On parle de traumatisme. C’est un double traumatisme car il y a la perte d’un enfant, l’un des pires drames de la vie, et il s’ajoute aussi la dimension du suicide. Est-ce ainsi que tu vis les choses ?
Je pense que la perte de l’enfant domine. Maintenant, j’en suis à ce stade. Le suicide, c’est fait, c’est acté. C’est un peu comme un accident. C’est un moyen qui a fait que j’ai perdu mon enfant. Le plus dur est d’avoir perdu un enfant. Le suicide, il n’y a pas deux cas identiques. Chaque suicide a une histoire propre. Dorian a vécu une longue période, où il a fait plusieurs tentatives de suicide. Maintenant avec le recul, on voit que c’était graduel. Les premières TS, puisqu’on les appelle TS, étaient des TS d’alarme, des appels au secours. La première fois, c’est lui-même qui a appelé les pompiers car il était tout seul, il avait laissé beaucoup de lettres, ce qu’il n’a pas fait le jour où il s’est vraiment suicidé. Il faisait une TS, il était soigné, il sortait, il replongeait. Je pense que cette phase-là a été ratée. Je m’inclue dedans. Sans culpabilité.
Comment ne pas culpabiliser dans un tel drame ?
Il ne faut surtout pas culpabiliser car c’est tout de même un acte volontaire. Il faut ramener ça à la personne qui le fait, c’est son choix pour lui. Sans oublier tout de même que certaines personnes y sont poussées par des violences intra familiales ou des abus sexuels. Dans mon cas, c’est vraiment un choix volontaire. En fait, le pire, je l’ai vécu un peu avant en discutant ensemble de sa mort. Lui, dans des périodes très dépressives, où il était au fond du trou comme il disait, il exprimait vraiment son désir de partir. Il faut affronter ça : votre enfant qui vous signifie qu’il veut partir. On vit avec un pistolet sur la tempe. Cette période a été très difficile d’accepter ce genre de conversation. Moi, j’étais dans la négation. Je lui disais que je ne peux pas valider ce qu’il me disait. Dorian, il prenait tout à la légère. Tout petit, il voulait vivre pieds nus, dans les bois avec les loups. Il était idéaliste. Cela a été très compliqué d’accepter ces conversations. C’était très très lourd. Il faut se retirer la culpabilité. Toutefois, en regardant, avec le recul, même si ça ne sert à rien, que c’est trop tard, mais à l’analyse, on n’a peut-être pas pris les bonnes pistes. Moi, j’avais l’intention de partir faire le Toubkhal avec lui au Maroc, pour le sortir des benzodiazépines qui le faisaient grossir. Je pense que l’acte définitif a été fait contre toute lucidité, il n’était pas lucide.
Pourquoi Dorian souffrait-il de tels épisodes dépressifs ?
Le début de son mal être vient de la prise d’un acide dans une rave party. Il faut le dire, car on est très léger là-dessus. On entend que c’est bon enfant, que ce sont des gens qui écoutent de la musique. Mais c’est faux, c’est un lieu où on consomme énormément d’acides. Des associations sont sur place pour vérifier la conformité des acides. Lui, il a pris un truc rare en Europe, souvent très mal dosé, et dans un buvard, où la dose peut être très mal répartie. Il a très mal réagi. Lui, il disait que ça lui avait décroché le cerveau. Il s’est retrouvé dans une espèce de spirale où il avait des hallucinations. Dans le milieu psychiatrique, on le nie un peu, et on le rapproche d’une pathologie. A Millau, au centre de santé mentale, on ne peut pas avoir une approche individuelle car il y a beaucoup de malades. Quand je passais devant, je disais ce sont les fous. Quand j’y suis rentré, j’ai vu qu’il y avait beaucoup de Dorian à l’intérieur. Pour les mêmes raisons. Toutes ces pathologies sont mélangées, il y a des adultes avec des jeunes. C’est une histoire de moyens. Cette prise en charge n’est pas efficiente. Il y a des expériences sur Montpellier où ils essaient de voir plus en amont si on ne se trompe pas de pathologie pour éviter de les plonger dans ces médicaments. Ils se retrouvent dans une camisole chimique, où on n’a plus envie de rien, on grossit, on n’a plus aucun centre d’intérêt, on n’a plus de libido. Au final, on a envie de fuir tout ça, et le suicide est une fuite. J’en ai discuté avec beaucoup de personnes. Le suicide n’est pas un désir de mourir, c’est de fuir l’état dans lequel on est. Dorian s’est jeté du Viaduc de Verrière. Il était parti avec son sac à dos pour faire le chemin de St Jacques. La veille, il avait fait un cocktail médicaments-alcool. C’est vrai qu’on avait pris la mesure, on avait l’intention de passer à une autre phase le lendemain. Mais c’était trop tard.
On peut dire qu’il vous a pris de vitesse.
Oui. Il avait un rendez-vous avec une infirmière psy, une agence d’intérim. Et puis il a disparu. Moi, quand sa maman m’a appelé pour me dire qu’elle ne le trouvait plus, je n’ai eu aucun doute. J’ai senti. Paradoxalement, j’étais au travail à Séverac, et je suis passé sur ce viaduc un tout petit peu avant. Moi, c’était une période de ma vie où je n’étais pas bien, notamment à cause de Dorian qui n’allait pas bien. Je vivais avec un pistolet sur la tempe. Je me demandais quand ça va s’arrêter ? quand on va nous appeler pour dire ce qui s’est passé ? Dorian étant majeur, on ne fait pas ce qu’on veut, on ne peut pas avoir accès au dossier psychiatrique. On l’a fait interner une fois en Psy à Rodez. C’était une horreur pour nous, et on a beaucoup culpabilisé. En même temps, on voulait le protéger. On ne sait pas si c’est bien ou pas. Ce jour-là, je suis rentré chez moi. Sa maman a fait le signalement au commissariat. Moi, bizarrement, un processus s’est mis en place. J’étais faible, et là, je me suis mis vraiment en mode Il va se passer quelque chose, et il va falloir que tu l’affrontes. Ca pourra choquer certains. Mais quand j’ai entendu la sonnette, je savais déjà. Là, on est en face d’une réalité. Les deux policiers étaient très atteints, ils étaient adorables, ils se sont mis à ma disposition, sur la demande du commissaire de police. J’ai encore du mal à le comprendre, mais je ne me suis pas effondré, j’étais prêt ! J’étais vraiment dans le réel. Ils m’ont monté à l’hôpital, j’ai rejoint sa maman, ses frères. Vraiment à ce moment-là, je sentais que j’étais solide alors que je ne l’étais pas deux heures avant. J’ai passé ce cap très violent. Et comment je vais annoncer ça à mes parents, à ses sœurs ? J’étais dans le mode protection. On a accès à une cellule psychologique, avec le même psychiatre qui l’avait soigné. J’aurais pu m’en prendre à lui, mais je n’avais vraiment pas de colère ou de haine, je l’ai remercié pour ce qu’il avait fait, mais dit que je n’avais pas envie de conversation ou de soin. J’étais très calme. Là, on est dans le réel. J’ai appelé ma compagne du moment, ma sœur. Tout le monde est venu. Le matin, j’ai informé mes filles le plus simplement possible. Cela a été le plus difficile. Et c’est ce qui m’a donné cette force. J’appelle ça l’effet miroir. On se retrouve dans un délire. On vient de perdre son fils, et il faut voir le curé, les pompes funèbres. On vous demande si vous voulez le modèle A ou le B ? Il y a une enquête judiciaire, une perquisition dans sa chambre. En fait, on a passé beaucoup de temps en famille chez mes parents, et c’était assez léger, ce n’était pas lourd. Tout le monde s’est adapté à mon attitude à moi, elle était chargée mais positive. C’est l’effet miroir. Les obsèques font partie des jours les plus intenses au niveau des sensations. C’était un jour extraordinaire, avec une foule immense, des amis, de la musique. Moi, peut-être de façon orgueilleuse, prétentieuse, j’étais au centre, avec sa maman. Mon attitude a contribué à ça, et elle m’a servi à moi en premier. J’ai donné une espèce d’ambiance, il y a eu beaucoup de larmes, de tristesse, mais en même temps, tout cet amour-là, je l’ai pris. Il y avait beaucoup de partage, d’émotion, de joie aussi. Cette lueur d’espoir a été le départ du fait que ça se soit bien « passé » pour tout le monde. Cela a été le déclenchement de l’approche de cette disparition.
T’es-tu rapproché de groupes de parole ou de parents qui ont traversé la même épreuve ? Ou l’as-tu plus vécu dans ta famille ?
Je l’ai vécu dans ma famille, avec mes amis. J’en ai toujours parlé librement. Il faut évacuer. Ce sont des sensations qu’on n’a jamais connues. Je pense qu’on peut en mourir de chagrin. On n’arrive pas à respirer. Ca se traduit physiquement. Il peut se passer des choses étranges. J’avais deux grosses tendinites aux coudes qui me faisaient vraiment souffrir. Le lendemain matin, je n’avais plus rien. J’en ai parlé à des spécialistes qui expliquent qu’on libère un tas de trucs. J’en ai discuté avec des gens qui ont perdu des enfants, avec des gens qui ont perdu des proches à cet endroit-là. Car le Viaduc de Verrières connaît beaucoup de suicides. On se pose beaucoup beaucoup de questions. Et à un moment, il faut arrêter de s’en poser. Ce n’est pas moi qui me suis suicidé, c’est mon fils, c’est un choix qu’il a fait. Raisonné ou pas, peu importe, il l’a fait. Vous pouvez ressasser, être malheureux, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, il ne reviendra pas. Il faut être dans l’acceptation. Et trouver une autre voie, que le drame et le chagrin. Moi, je me suis beaucoup intéressé à la TCH. C’est une technique dite de la conscience extraneuronale, c’est assez complexe, et il faut y adhérer pour le comprendre. Notre éducation judéo chrétienne nous explique qu’on a été conçus par Dieu, et qu’on meurt car on va rejoindre Dieu, et notre âme va le rejoindre aussi. Avec la TCH, l’idée est que physiquement, il n’est plus là, mais qu’on peut communiquer d’autres manières avec lui. Au niveau des sensations, des sentiments, je peux partager. Quand je vais me balader dans des endroits qu’on a fréquentés tous les deux, je peux communiquer avec lui. Avec cette approche, j’ai compris qu’on ne peut plus le serrer dans les bras, mais au niveau des émotions, cela peut exister. Il ne faut pas s’interdire d’avoir cette relation-là. Il ne faut pas avoir de barrière, car cela freine votre « guérison », entre guillemets. Dorian n’est plus là. En famille, on vit normalement, on a des très grandes joies. Sa peine, chacun la vit intérieurement. Moi, j’ai des pannes de craquage. Je ne les refuse pas non plus. Car je sais aussi qu’il faut lâcher. Ca peut passer par la parole. Par les pleurs. La peinture. La sculpture. Il ne faut rien garder. J’ai consulté quelques fois les psychologues. Ils ne m’ont pas fait avancer. Je n’étais peut-être pas en phase. Le conseil est de ne rien garder, d’oser en parler, de libérer. Car sinon, ça peut vraiment nuire à votre santé physique et psychologique. Des pathologies peuvent se créer.
Je t’ai entendu évoquer une traversée du désert dans ta vie. Est-ce que cet évènement a été un amplificateur de problématiques antérieures ?
Cette traversée du désert a été un mélange de déconvenues. Mes affaires ne marchaient pas très bien. J’ai senti assez vite que Dorian n’allait pas bien. Ma vie sentimentale a été un peu chaotique. C’est un peu difficile à entendre. Mais pour moi, le départ de Dorian a été un électrochoc. Je me suis repris en main, j’ai soulevé le tapis, et il y avait du monde sous le tapis ! Je me suis découvert une force incroyable. Si à travers ce témoignage, je pouvais donner du courage aux autres. Car ça m’a donné une force incroyable ! Suivant comme on appréhende les choses, soit on s’effondre. Mais moi, je peux le dire aujourd’hui, ça a changé ma vie, forcément, mais de façon positive. Ca m’a donné une autre vision des choses. Ca ramène toutes les autres choses à un autre niveau. Le danger est qu’on prend tout à la légère. Le danger est qu’au niveau des sentiments, on ne sait plus ce qui vous affecte ou vous comble. Moi, j’étais dans une belle relation. Mais après, on n’a plus la couleur des sentiments. Car on se protège tellement, on est tellement en mode combat qu’on devient un peu insensible à tout. Il a fallu que je fasse redescendre le curseur, pour ne pas être tout le temps en mode combat. Plus rien ne m’atteignait, j’étais insensible à tout ! Il a fallu trouver l’équilibre. Moi, je fais un bilan positif. J’ai eu une démarche spirituelle, j’ai pu découvrir d’autres choses en moi, donner d’autres sens à la vie, à l’amour de ses proches. J’ai la chance qu’avec mes deux filles, on se témoigne de l’amour au quotidien. J’ai développé ça au niveau de l’amitié, de mes proches, et je l’ai un peu contrarié au niveau sentimental. Mais j’ai 51 ans, je vis ici à Mostuéjouls maintenant, j’ai donné un autre sens à ma vie. Le suicide de Dorian aurait pu m’amener une vie en noir, alors qu’au contraire, je la vois en couleurs. Parfois, je me surprends à m’émerveiller dans mes ballades sur le Causse, ou quand je vois un écureuil. Je reprends peu à peu de sensibilité. Au final, il faut passer sur l’évènement, et pas qu’il irradie sur tout le monde. C’est Dorian qui s’est suicidé, qui a mis fin à ses jours. Nous, on ne l’a pas décidé. Au lieu de le subir, on s’en sert comme une force. C’est le principe de l’aïkido. Mais il n’y a pas de méthode, car dans ces circonstances, il y a des gens fragiles, il y a des gens forts qui deviennent fragiles, des gens fragiles qui deviennent forts.
Lors de ces rencontres avec d’autres personnes touchées, qu’as-tu appris sur le plan de la prévention du suicide ? Est-ce suffisamment pris en compte ?
En France, c’est un peu disparate. Au Canada, ils ont un processus d’identification de la montée en puissance. Ils ont des résultats, ils arrivent à faire changer d’avis car le suicide est une démarche progressive. Pour certains, c’est spontané : ils vont très très bien, et ils passent à l’acte de suite sans passer par toutes ces phases. D’abord une petite dépression. Puis on passe au stade de l’isolement. Les proches doivent l’identifier. La dépression est quelque chose de très sournois, que tout le monde n’exprime pas. C’est un peu tabou aussi. Il y a tout un processus où il faut de la vigilance, et en France, on prend le sujet suicidaire trop loin, on va s’en occuper au moment où il a pratiquement fait une TS. On peut vraiment élargir le sujet dans le sens où dans notre société, il n’y a pas de veille. Par exemple, actuellement, le problème des étudiants tout seuls, on le nie. Mais ça passe par l’éducation et le dialogue. Les ados sont beaucoup sur les réseaux sociaux, mais ils ne dialoguent pas sur leur mal être. Ils sont tellement sur l’image, dans le style, qu’il faut que ce soit lisse. Quand on se plaint, on est faible, on se fait moquer. Le suicide des jeunes est un problème sociétal. Pour le suicide des adultes, les raisons sont affectives, un divorce, ou financières. Comme les agriculteurs, qui se suicident car ils sont étranglés financièrement, et ils ne voient pas la solution. C’est une fuite. Certains diront que c’est lâche. Et quand on perd quelqu’un, on a ce sentiment de colère. Dans les écoles, il faudrait plus de prévention sur le suicide. Mais c’est un sujet qui met mal à l’aise.
Tu l’as ressenti ?
Oui, un peu. Il faut savoir que l’église catholique refuse le suicide, ce n’est pas la volonté de Dieu. Mais il y a des prêtres incroyables, comme celui de Millau, qui a ouvert son église. Sinon, ce n’est pas autorisé. La religion catholique est la première en France, et le suicide est encore un pêché. La prévention passe par le dialogue. Ce serait bien que nous, les adultes, on se remette en question, qu’on fasse baisser notre niveau d’orgueil et qu’on prenne soin de nos enfants. Je n’ai jamais eu ce sentiment de culpabilité, mais avec le recul, il y a peut-être certaines choses que j’aurais pu faire pour Dorian. Il y a eu des moments où on était complètement démunis, on ne savait plus quoi faire. On a fait un peu trop confiance au monde médical. Et moi, ma frustration, c’est de ne pas avoir fait ce voyage au Maroc, pour monter au Toubkhal, et d’être allé chercher d’autres modes de thérapies. Les médicaments utilisés sont souvent à base de benzodiazépine, un psychotrope. On délivre à des gens fragiles un produit sensible qui, s’il n’est pas utilisé de façon correcte, peut avoir les effets inverses. C’est ce qui s’est passé avec Dorian. Dès qu’il sortait d’HP, il avait un traitement à sa disposition. Tant qu’il prenait la posologie recommandée, ça allait, mais si un jour, il avait bu un coup de rhum de trop, il pouvait prendre toute la boîte. Il y a un suivi, une infirmière psy l’appelait tous les jours. Mais ce ne sont pas des magiciens. Cette thérapie est trop aléatoire. Pour moi, la société n’aime pas ces gens-là, ils la dérangent. Alors, s’ils se suicident, ils ne feront plus chier personne… Je corresponds avec un jeune homme, qui a surmonté tout ça. Il était dans le même processus que Dorian, il avait fait des TS, et il est sorti de ça, par le sport, avec des parents à l’écoute, et une volonté de lui-même de s’en sortir. Maintenant, il a le recul. C’est un témoin. Il s’est rendu compte que les benzo le bloquaient complètement. A 25 ans, pour un garçon, la libido, l’aspect physique, le bien-être, c’est important. Mais là, vous avez pris 30 kilos, vous avez un énorme bidon car ça fait gonfler et manger plus. Dorian était très entouré, ses copains venaient le voir. Mais quand il se regardait dans un miroir, il avait ce fond de lucidité de se détester. Il s’est supprimé pour supprimer cette personne qu’il n’était pas. Dorian, c’était un beau garçon. Il était parti faire l’Asie, l’Annapurna, la Birmanie, le Laos. Il n’était pas prédisposé à devenir un légume, à rester sur le canapé à jouer aux jeux vidéo. Parce que ses médicaments ne lui permettaient pas de faire autre chose. Moi, j’ai espoir. Je sais que les choses ne vont pas se faire facilement. Car je trouve que dans notre pays, on fait progresser les comptes en banque, mais que notre humanité descend complètement. Je suis un apôtre de la bienveillance. Or on est dans une société où la méchanceté prime, on le voit à la télé, dans les émissions, même humoristiques, on n’est pas dans la bienveillance, on est dans la malveillance. On se moque de tout, de tout le monde. Dans la vie, si vous êtes gentil, vous êtes un couillon. Mais il faudrait remettre l’amour au centre de tout, que les gens s’aiment un peu plus. Sans faire les bisounours. Moi, je me suis mis à la lecture, car on est envahis par les choses négatives. Et pourtant, il se passe énormément de choses positives, mais on n’en parle surtout pas. Moi, le départ de Dorian m’a remis sur les choses essentielles. Il y a des choses importantes et des choses essentielles. Et il ne faut jamais oublier que Dorian a fait un choix, mais ce choix-là ne doit pas être une bombe atomique qui irradie tout le reste. Ma vie continue. Notre vie continue. C’est difficile à vivre, mais tout autour, il faut continuer, à vivre, à rire, à s’aimer. Sinon, on donne une dimension encore plus lourde. Pour certaines personnes, ce n’est pas possible, le mot qui revient est insurmontable. Mais dans la vie, rien n’est insurmontable. Mais il faut la volonté. Quand on veut, on peut. Il faut garder une note positive.
Entretien réalisé par Odile Baudrier
Photos : Gilles Bertrand