BIOUNAC, HERVE MARCILLAC AUX FOURNEAUX DU MARCILLAC

Sauclières – Lacalm, une diagonale longue de 160 km pour traverser du Sud au Nord l’Aveyron. La route des petits bistrots avec une halte surprise à mi-parcours à Biounac. Un estaminet à l’ancienne avec aujourd’hui Hervé Marcillac aux fourneaux. Cela mérite bien un arrêt. Soyons curieux, rentrons.

Passé le petit pont enjambant le Dourdou, ce maigre fluet d’eau né aux confins de Lassouts avant qu’il ne rugisse enchassé dans le gouffre de Bozouls, Gabriac se devine perché au sommet d’une petite côte. Une halte autrefois connue avec sa station service et son enseigne surannées mais surtout par son hôtel restaurant, le Bouloc, antique et vénérable maison, érigée en 1848, aujourd’hui véranda, portes et volets clos. La fin d’une grande époque, 167 ans dans les mains d’une même famille avant que la cinquième génération ne jette le torchon, la fin des illusions, lente et lente dissolution, lente et lente résignation.

Sur la route d’Espalion, Gabriac n’est plus une étape oblige, aux étoiles écornées, celle où le VRP lâche la cravate et fait grimper son cholestérol, celle où le touriste se dégourdit les guiboles, la carte Michelin sous le nez à mi-chemin entre causses et Aubrac. On passe le carrefour avec prudence et on file droit direction Espalion.

Trois lignes droites vite enchaînées et Biounac est déjà là, juste avant la bascule dans la vallée du Lot, les Quatre Routes et le tunnel de Martel. D’ordinaire, un village vite traversé, vite oublié, les bagnoles le plus souvent en trombe et furibondes dans cette enfilade entre église, bâtiments agricoles et le bistrot.

Si l’hôtel Bouloc a sombré entre décrépitude et infortunes, à Biounac un petit estaminet tient encore le choc. Je me suis garé devant l’église, j’ai marché quelques pas, j’ai dit bonjour à une agricultrice tenant tête à une tribu d’oies gloussantes et jacassantes. Je me suis amusé à observer ce jeu de l’oie improvisé pour de vrai, sans dés à lancer, les palmipèdes tenant fièrement leur quartier. Devant le bistrot Marcillac, je me suis essuyé les pieds sur un paillasson râpé et j’ai poussé la porte.

Hervé  était au bar. Pas le genre bougon, ronchon, deux petits yeux ronds et rigolards, le front plissé, d’épais sourcils, le reste à deviner, bien évidemment masqué. Un paysan était au bar, bottes au pied, veste élimée, jean râpé, paquet de clopes à la main de lui dire «bon, la prochaine fois que je viens, ce covid, il est plus là, hein !?».

Hervé Marcillac a repris l’affaire en 2016 après avoir été imprimeur, les 3 x 8 au pied d’une offset chez Mérico à Bozouls. Une affaire familiale née dans l’après guerre par le grand père Benjamin. Blessé au front, l’homme remit sur pied bénéficie d’une pension lui accordant le droit d’ouvrir un tabac. La maison Marcillac est ainsi créée pour compléter le revenu du ménage, élevant quelques vaches mais surtout propriétaire d’une petite laiterie collectant le lait, de Coudournac à Albiac pour Roquefort.

Au fil du temps, le bistrot – restau est resté dans son jus. Il ne manque que l’odeur du tabac froid et de la Gauloise d’autrefois. Le même petit comptoir et sa barre lustrée, les mêmes tabourets au cuir ressemelé, le même frigo, un vieux frigidaire Bonnet en bois clair, les tables en formica années 60, Hervé raconte «moi, j’adore le formica. C’est ce que les gens aiment ici. Quand les clients s’intéressent, je raconte l’histoire. Tout en mangeant un chou farci, ils apprennent qu’ici, c’était une laiterie». Un rade pour s’accouder comme d’antan, devant une chopine pour écouter les histoires d’ici, de pas loin, du coin, les vêlages, les agnelages, les foins, les vieux qui s’en vont et les jeunes qui se font prier. Un lieu de vie comme on dit aujourd’hui dans les grands salons de la sociologie pour débattre sur fond d’urbanité et de ruralité. La première télé à Biounac, elle fut installée chez les Marcillac, Hervé garde le souvenir de cette salle bondée et enfumée pour les matchs de rugby, les yeux braqués sur les Gachassin, Boniface et le grand Dauga mais également pour les combats de catch commentés par l’inénarrable Roger Couderc, l’animateur de la Tête et les Jambes.  Le premier téléphone du village, ce fut encore chez les Marcillac qu’il fut branché, le chef de raconter «nous avions une plaque émaillée «cabine téléphonique». On recevait l’appel et ma mère courrait à l’autre bout du village pour avertir la personne».

Hervé est donc resté pour prendre la suite d’Agnès la maman qui elle-même avait pris dans les mains le témoin du «papé» Benjamin. Un an de formation à l’AFPA de Brive où il se nourrit des cuisines du monde et Hervé se retrouve au fourneau enfin toqué et les papilles bien développées pour servir une cuisine tradi parfois pimentée de saveurs exotiques bien léchées.

Le Marcillac est ainsi devenu une petite adresse que l’on s’échange sur les chantiers, d’artisans à ouvriers, chez les poseurs de la fibre et autres salariés travaillant chez Burgière, le ferrailleur dont les toits brillent, au sommet de la colline passé le Champ de la Pie. Mais pas que, l’établissement aux petits rideaux brodés s’est imposé sur cette route passagère entre Espalion et Laissac comme une bonne surprise pour titiller la curiosité des voyageurs osant mettre le clignotant pour se garer au pied de l’église et franchir la porte de l’estaminet. Au menu, du classique, du local, du fait maison, même les casse-croutes sont au pâté de cochon saisi au four dans la cuisine attenante où la maman veille encore à la cuisson.

Aujourd’hui, en ces temps de confinement, le patron reste aux fourneaux. Sur une ardoise noire, c’est menu à emporter, confiné et emballé dans une boîte, Hervé roumègue «le repas a emporté, ça dure trois minutes. Le client prend son cageot et c’est tout. C’est affreux de ne pas pouvoir s’arrêter, de se serrer la main. Venir chercher une boîte, ce n’est qu’en même pas le même charme que d’être servi à table».

Au printemps dernier, lors du premier confinement, une radio locale contacte Hervé pour diffuser, chaque semaine, une recette en direct. Il se prend  au jeu avec son franc parlé, un brin d’assurance, un grain d’humour pour imposer un style bien à lui, sans chichi, sans toque haute de trois pieds. La recette des farcous s’invite ainsi un matin du 30 avril 2020. Moment choisi, morceau choisi sur les ondes de RTR «je suis aussi connu pour mes farcous. Ici, c’est un sujet très sensible. C’est une source de conflits, on a même fait des guerres pour moins que cela. Car il y a les partisans du tout végétal et les adeptes du mélange viande et herbes. Moi, je sers des farcous gras avec de la poitrine fumée et un peu de lard de porc. Ma méthode vient de ma grand-mère et de ma mère. La texture, c’est là que le «à pistadenas» rentre en jeu pour obtenir une consistance un peu épaisse. Et on sert cela à l’apéro».

Farcous, samossas au roquefort, carottes râpées revisitées version palmiers, cocotiers plage de Phuket, Hervé passe allégrement du salé au sucré. Le 21 avril, une semaine après la prolongation du confinement, il décline la recette de son fondant au chocolat sur la fréquence 107 FM. Il raconte «j’ai choisi ce dessert pour remonter le moral des gens (et le sien aussi…!) , un peu en prévision du discours de notre président car je sentais la déprime arriver». 1er mai, les réseaux sociaux publient le discours d’Emmanuel Macron. Pilule amère, le fondant au chocolat comme douceur pour apaiser les rancœurs, même les gourmands sont restés en colère.

SAUCLIERES – LACALM, SUR LA ROUTE DES PETITS BISTROTS

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