Emmanuelle Bekate, en lutte contre les violences sexuelles
Le livre publié par Camille Kouchner début janvier a levé le voile sur le drame de l’inceste familial, et a impulsé les témoignages de milliers de victimes de ces dérives, à l’instar du phénomène Me Too, il y a trois ans. Dans le Sud Aveyron, une femme mène un combat de longue date contre les violences sexuelles. Emmanuelle Bekate, elle-même victime d’un viol à son adolescence, anime un groupe de paroles à Saint Affrique, et a impulsé des stages de reconstruction. Elle accueille avec enthousiasme ce mouvement d’envergure, qui libère la parole des personnes abusées, comme une première étape dans leur reconstruction.
Vous êtes la créatrice et l’animatrice d’un groupe de parole pour les victimes de violences sexuelles. J’aurais aimé savoir pourquoi vous avez créé ce groupe ?
Cela fait 15 ans que je suis arrivée dans l’Aveyron, depuis la région parisienne. Au départ j’ai voulu créer une association pour des cours de danse africaine, afro-cubaine, apprise à Cuba, de salsa… L’idée d’un groupe de parole est venue, car moi, je suis une ancienne victime de viol, et une des choses qui m’a permis de me reconstruire a été de pouvoir participer en tant que victime à des groupes de parole. C’était sur Paris dans les années 90. Je suivais en parallèle une thérapie avec une psychologue. Le groupe me permettait de rencontrer des femmes comme moi, de ne pas me sentir seule, et de me sentir entendue, écoutée, comprise. Depuis que mon agression est arrivée, j’avais toujours pensé à mettre un groupe en place. En 2015, j’avais organisé une projection de film sur les violences sexuelles, à Camarès et à St Affrique, au Familial. Après ce débat, des personnes m’ont dit que ce serait bien de continuer, de faire quelque chose pour les victimes. Une personne qui avait témoigné avait subi aussi un viol comme le mien, ici à St Affrique. Je ne me sentais pas de lancer le groupe seule, nous avons fait le groupe ensemble pendant deux ans, puis elle a voulu arrêter. Moi, je n’ai pas voulu arrêter ! Ce n’était pas évident. En fait, c’est très compliqué à la campagne car tout le monde se connaît. Parfois, on avait une seule personne qui venait, ou alors elle venait une seule fois. J’ai le souvenir d’une femme, qui, à plus de 60 ans, n’avait jamais parlé de son viol ! Cette histoire m’a tellement bouleversée que j’ai voulu continuer. J’ai pensé que même si les personnes viennent une seule fois, c’est comme ça. J’ai voulu continuer. J’ai aussi le projet de créer un lieu de vie pour des jeunes filles victimes de violences sexuelles extra familiales. Pour ce projet, j’ai rencontré Ingrid Lebeau, sexologue sur St Affrique, avec qui j’avais animé un stage de danse et sexualité. Et Jessica Fabié, la fille d’amis. Je me suis consacrée deux ans à ce projet, et il a été refusé par l’Aide Sociale à l’Enfance de l’Aveyron l’année dernière. Mais je ne lâche pas l’affaire. Pour moi, c’est ma vie, c’est ma mission de vie. Je dois me dédier à ça aujourd’hui. Alors, en attendant, j’ai lancé des stages de reconstruction, qui devaient débuter le week-end dernier. Maintenant, Jessica Fabié anime le groupe de parole avec moi. Au début, cela a été difficile, elle avait été prise par l’émotion à entendre ces témoignages. Mais c’est quelqu’un qui s’implique vraiment dans la cause des femmes, elle a fait énormément de formations.
Vous-même, peut-on dire que vous avez été formée par votre expérience dramatique, et ensuite par les actions menées dans ce travail de reconstruction personnelle ?
Je suis aussi passée par l’écriture, j’ai écrit mon histoire. Plein de choses dans ma vie m’ont permis de me reconstruire. Que ce soit au niveau personnel ou professionnel. Et aussi avec la danse. Car les violences sexuelles se situent au niveau du corps, de la sexualité. Moi, comme j’ai vécu mon agression, j’ai vécu une sortie de mon corps. En fait, le corps se déconnecte de ce qui se passe au niveau de l’esprit. J’ai subi plusieurs viols. Le premier viol m’a provoqué de sortir de mon corps pour ne pas voir ce qui arrive.
C’est un phénomène fréquent lors des viols.
Oui, je l’ai appris après. Du coup, tout mon travail à moi a été de me reconnecter à mon corps. Car au début, même dans nos postures, on est complètement avachies. Moi, j’étais toute courbée, je ne décollais jamais les bras de mon corps, j’étais toujours tendue. La danse m’a beaucoup aidée pour libérer mon corps. Je pratiquais avant l’agression, danse moderne, puis africaine. J’ai aussi fait plein d’autres arts importants, du théâtre, du chant. Tout cela peut vraiment libérer les victimes de violences sexuelles.
Le terme est peut-être mal choisi. Mais peut-on dire que c’est un « travail » à plein temps de se reconstruire après une agression ?
C’est pour toute la vie ! Pour moi, subir des viols devrait être considéré comme un handicap. Car on est tellement détruite de l’intérieur, de partout, que toute notre vie ensuite va être compliquée. Que ce soit au niveau des relations amicales, amoureuses, de notre sexualité. Ou encore quand on se retrouve parents. Aussi pour les études, le travail, il y a beaucoup d’instabilité. Cela dépend si on a été abusés enfant ou plus tard. Moi, j’avais 18 ans, j’étais dans les études. Toute la vie, c’est très compliqué. Heureusement aujourd’hui, on commence à comprendre le traumatisme provoqué. C’est inimaginable comme ça détruit une personne. Et les agresseurs ne le savent pas. Il faudrait qu’on leur fasse comprendre que c’est inconcevable d’être abusé. Et encore plus les enfants. Des personnes qui ont vécu des viols d’enfants vivent souvent une amnésie traumatique après, et ne s’en rappellent pas pendant des années.
Depuis cinq ans, dans votre groupe de parole, quels types de victimes avez-vous vues passer ? avec quel rythme de contacts ?
On a de tout. Il y a des personnes qui sont là depuis le début. D’autres personnes sont arrivées cette année. Certaines viennent seulement 1 ou 2 fois. Des personnes me disent qu’elles ont envie de venir, et au dernier moment, elles annulent et ne viennent pas. C’est juste qu’il faut que les personnes soient prêtes à venir, à libérer leur parole. Ensuite, on ne va surtout pas les forcer à revenir. On a déjà subi une fois, on ne peut plus être forcées. Si elles viennent une fois et libèrent tout, c’est que ça leur fait du bien à ce moment-là. C’est libre.
Vous m’avez précisé que la violence sexuelle hors cadre familial et la violence à l’intérieur de la cellule familiale sont différentes. Pourquoi faites-vous cette différence ?
Moi, dans mon cas, c’était hors cadre familial. C’est ce qu’on appelle une tournante. Ce sont des jeunes de mon âge qui m’ont agressée. C’est sûr que ça m’a traumatisée pendant 30 ans. Mais je trouve que c’est une double violence quand des personnes subissent un viol de la part d’un père, d’un frère, d’un oncle, de quelqu’un qui est censé les protéger, qui est censé leur apporter tout l’amour qu’un enfant peut demander, et doit avoir. Ou parfois même une mère, j’ai rencontré un homme violé par sa mère. Pour moi, c’est la pire des choses. Je suis en totale admiration devant des femmes qui ont vécu l’inceste. C’est mon avis car je ne l’ai pas vécu. Dernièrement, j’ai parlé avec une femme qui a vécu un inceste avec son frère. Je lui ai raconté mon histoire, et pour elle, c’était pire que ce que j’avais vécu ! Quand j’avais mon projet de créer un lieu de vie, j’avais contacté un lieu d’accueil, la clinique du Docteur Bru, situé à Agen, qui existe depuis les années 90. C’est une maison d’enfance à caractère social, qui n’accueille que des jeunes filles qui ont subi l’inceste. Ils m’avaient expliqué qu’au début, ils avaient mélangé les victimes d’inceste et les autres. Et en fait, c’était compliqué, car l’accompagnement n’est pas le même, et que les filles qui n’avaient pas connu l’inceste ne se sentaient pas « légitimes », entre guillemets. Pour un accompagnement dans le long terme, c’est compliqué. Pour un groupe de paroles ou des stages de reconstruction, c’est possible.
Ce groupe de parole est-il lié à des associations mobilisées pour la défense des victimes ?
Il fait partie de Isis Baila : Isis comme la reine d’Egypte, et Baila pour danse en espagnol. L’association organise des cours et stages de danse. Du théâtre forum pour parler des violences sexuelles dans les collèges et lycées. Et les groupes de parole depuis 2015, qui sont gratuits et anonymes.
Début janvier, le livre de Camille Kouchner a mis en avant les problèmes de l’inceste. Dans la foulée, le hastag « #metooinceste » a vu près de 100.000 personnes témoigner de tels sévices. Que vous inspire ce mouvement médiatique autour de l’inceste ?
C’est super positif. Le #metooinceste va encore libérer la parole. Comme l’avait fait le #balancetonporc. Moi, je n’ai pas Twitter, cela ne m’apporte rien personnellement. Mais pour libérer la parole pour les jeunes filles aujourd’hui, ce sera très positif. Je ne sais pas si les femmes de mon âge vont l’utiliser. Je pense que cette affaire Duhamel a réveillé, et va permettre de libérer la parole de toutes ces victimes. Depuis longtemps, je suis sur les groupes sur Facebook de victimes et d’aides aux victimes. En ce moment je suis énormément approchée par des hommes qui ont subi des viols. Je ne me rendais pas compte qu’il y en a autant. Il y a quelques années, je ne pensais pas qu’une mère puisse abuser de son enfant, et j’ai rencontré un jeune homme de 18 ou 20 ans, qui m’a raconté qu’il avait été violé par sa mère pendant 5 ans. A chaque fois qu’il y a des choses qu’on ne peut pas imaginer que ce soit possible, et bien, cela nous arrive. Et là, on se réveille et on se rend compte que tout est possible. Les pires atrocités sont possibles ! C’est un sujet qui bouleverse tellement quand on parle de viols sur des enfants, et même sur des bébés. On ne peut même pas imaginer ces réalités, tellement c’est atroce. Mais je pense que cette année, toutes ces horreurs vont sortir. Les gens vont prendre conscience qu’il y a des choses très très graves. Et c’est positif. Je suis ravie de voir tous ces mensonges qui ressortent, et la libération de la parole. Après, ce sera le temps de la reconstruction pour les victimes. Moi, je suis peut-être trop en avance avec mes stages de reconstruction. C’est peut-être le temps que les gens se réveillent et prennent conscience qu’il y a vraiment des atrocités dans notre société. J’ai vu que Karl Zéro a fait un reportage et veut faire un film, il a fait un livre qui s’appelle 1 sur 5. Cela veut dire 1 enfant sur 5 est victime de violences sexuelles. C’est énorme ! Cela devrait choquer tout le monde, on devrait sortir dans la rue pour aider les enfants. C’est vraiment un fléau de cette société. Elle est mauvaise à cause de tout ça. Le problème est que ces enfants abusés, s’ils ne sont pas soignés, risquent de devenir des agresseurs en grandissant. Moi, en tant qu’ancienne victime de viol, j’ai fait de la justice restaurative, ce sont des rencontres avec des anciens auteurs. J’ai rencontré trois anciens auteurs de viols, et sur les 3, il y en avait 2 qui avaient subi enfant ou adolescent.
Cela paraît un pourcentage énorme ?
Oui, ils ne s’étaient pas soignés au moment des viols. Du coup, en devenant adultes, ils ont recommencé. Le plus important est que dès qu’un enfant a subi des violences sexuelles, il faut l’aider, le soigner, qu’il voit des psys qui vont l’écouter, le croire, l’entendre. Pour lui permettre de se reconstruire et ne pas devenir, lui aussi, un agresseur. J’ai dit à ces hommes que j’ai rencontrés, que s’ils avaient fait un travail thérapeutique pour se soigner, ils n’auraient pas reproduit. L’un avait connu une histoire de fous. Il avait 15 ans, il sortait avec une fille, il a été violé par la mère de sa copine. Il est resté avec sa copine, ils ont fait un enfant, et il a violé sa fille adolescente… Tout était déréglé. C’est dommage qu’ils n’aient pas fait un travail. D’ailleurs, des structures se sont créées pour aider les agresseurs. Il est temps de le faire. Mais ça ne bouge pas assez. Même la loi qui a été votée, c’est catastrophique. On nous fait croire que si on a moins de 13 ans, on n’était pas consentants, mais que si on a plus de 13 ans, il faut prouver qu’on n’était pas consentants ?? c’est quoi ? Ils nous proposent quoi ? c’est un manque de respect pour les victimes. Moi, j’avais 18 ans quand ça m’est arrivé, les jeunes qui m’ont agressée avaient entre 16 et 21 ans. J’ai été séquestrée, frappée, violée. Et ça a été classé en correctionnel au lieu de passer en assises. J’ai aussi dû prouver devant un psychiatre que je n’étais pas une menteuse. Je trouve que jusqu’à 18 ans, on ne devrait pas avoir à prouver que c’est un viol.
L’un des problèmes principaux pour les victimes est-il aussi justement de ne pas être cru ? Cela ajoute-t-il au traumatisme ?
C’est clair. Pour mon affaire, la justice m’a plus enfoncée qu’autre chose. Ils plaignaient les gars. Le juge d’instruction était très désagréable avec moi, il a libéré les gars jusqu’au procès. Pendant leur libération, ils ont reviolé deux filles ! Cela ne m’a pas du tout aidée. C’est plus la justice restaurative qui m’a aidée.
C’est-à-dire rencontrer les agresseurs ?
Oui, j’avais toujours voulu faire cette démarche. C’est fort pour la reconstruction. Cela veut dire que je les ai vus comme des êtres humains, pas comme des monstres. Ils nous ont parlé de leur histoire. Nous sommes tous devenus des humains.
C’était donc votre volonté de suivre cette démarche ?
On ne nous force pas. Eux non plus. Et ils n’ont pas de remise de peines, en échange. Cela peut se faire aussi quand ils sont encore en prison. Cela s’applique également dans les cas de crimes.
Il faut être costaud pour faire de telles rencontres !
Non. Nous étions 3 personnes. Une avait subi un inceste par son père, elle a rencontré un père incestueux. Une autre avait subi une tentative de viol. Cela se passe en 5 séances. Il y a un long travail de préparation avec une psychologue de l’association d’aides à Montpellier. Il y a aussi un éducateur, deux autres personnes, bénévoles, qui représentent tout le reste de la société, la famille, la justice. Tout est bien préparé pendant des mois à l’avance. A la première séance, les agresseurs sentaient notre haine envers eux, ils avaient peur de nous. Ils nous demandaient que peut-on faire pour vous ? C’est vraiment libérer la parole. Je l’ai conseillé à d’autres personnes. Mais pour d’autres, c’est inconcevable. La justice restaurative peut aussi être une médiation, avec ses propres agresseurs. Moi, j’aurais voulu le faire, mais c’est très compliqué de les retrouver en région parisienne.
Tout à l’heure, vous parliez de la loi sur les affaires de viol. J’ai vu qu’il est à nouveau question de renforcer l’arsenal juridique contre les violences sexuelles. Mais certaines associations ont souligné qu’il est suffisant, et qu’il faudrait surtout plus de moyens pour épauler les victimes et faire de la prévention. Qu’en pensez-vous ?
Oui, c’est mieux d’aider plus les associations de soutien. Mais personnellement, cela fait longtemps que je n’attends plus après les aides du gouvernement pour mes actions. Déjà, il faut former les gendarmes qui vont recueillir les plaintes. Cela n’a pas beaucoup évolué. Je discute avec des personnes qui portent plainte, et l’accueil est catastrophique. Limite, on se moque d’elles. Même si elles sont accueillies par des femmes, gendarmes ou policières, qui sont parfois encore plus méchantes que des hommes. Les associations travaillent déjà pour aider. Moi, je suis motivée par les personnes qui viennent. Il y a aussi un soutien de la population. Moi, à Saint Affrique, j’ai beaucoup de soutiens, c’est comme s’ils me disaient Vas-y Emmanuelle, on est avec toi. Les gens ne sont pas indifférents. En général, c’est insupportable pour eux, les violences aux femmes, aux enfants. Beaucoup de gens m’ont soutenue, financièrement, en aidant bénévolement. Je compte plus sur ça que l’attente d’une éventuelle aide de l’Etat.
Etes-vous actuellement un peu plus optimiste pour l’avenir, compte tenu du mouvement « balance ton porc » il y a trois ans, et maintenant de « me too inceste » ? On a pu voir une grande mobilisation, beaucoup de gens ont parlé pour révéler avoir été victimes de violences, et même à de très hauts niveaux, comme des députés. Pour vous, est-ce un message d’espoir ?
Oui. Moi, je suis ravie. Je vois que toute la vérité est en train de sortir. C’est comme une nouvelle ère. On n’est plus à l’ère du mensonge. Enfin ! Enfin, les victimes vont pouvoir parler. Il va se créer un metoo pour les enfants. L’idée est de libérer la parole des enfants. Ce sera extraordinaire.
Simplement parler, est-ce que cela aide à guérir ?
Pour moi, oui, c’est le début de la guérison. Ou plutôt de la reconstruction. Je n’aime pas dire guérison car ce n’est pas une maladie. C’est vraiment se reconstruire. La libération de la parole est le premier pas.
Faut-il aussi la sanction des agresseurs par la justice ou bien est-ce mineur dans le processus de reconstruction ?
(Elle hésite longtemps). Oui, il faut. Mais là, je pense qu’il y a encore beaucoup de boulot pour que les agresseurs soient punis par rapport aux dégâts qu’ils ont faits. On n’a jamais puni un agresseur par rapport aux dégâts sur toute une vie de la victime. A ce niveau-là, je suis un peu négative, je n’y crois pas trop, avec la justice actuelle. Moi, par rapport aux agresseurs, je suis plutôt dans la prévention au niveau des enfants, des jeunes. Apprendre ce qu’est le consentement. Que quand une fille dit non, ça ne veut pas dire oui. On peut apprendre ça aux petits, ils comprennent très tôt. A Saint Affrique, Ingrid Lebeau propose 5 sessions de l’Université de Parent, pour aider à la parentalité. Une partie porte sur l’autorité, avec Valérie. Et Ingrid explique comment parler de sexualité avec ses enfants, selon les âges. Un enfant de 4 ans, on peut lui parler avec les vrais mots. Il ne faut pas avoir honte de parler de sexualité à ses enfants, de parler des choses clairement, pour expliquer ce qui est contre la nature. Comme l’inceste.
Selon votre expérience du groupe de paroles, avez-vous l’impression que l’inceste est une part importante en Aveyron par rapport aux violences extra-familiales ?
Je ne pourrai pas vous dire. Ce n’est pas la majorité. La majorité des personnes ont vécu des viols extra familiaux. Il y a environ ¼ des personnes qui connu l’inceste. Je me dis que certaines l’ont vécu, et n’osent pas venir. L’inceste est plus un secret que lorsqu’il s’agit d’un viol par un inconnu. Cela va commencer à se libérer. Je pense que dans mon entourage, des personnes l’ont vécu, mais c’est tellement un secret qu’elles n’osent pas en parler. Même les gens qui me soutiennent, qui sont intéressées, ce n’est jamais pour rien, elles ont certainement un lien avec ces histoires de violences sexuelles. Je pense que quand les personnes sont prêtes, elles vont se libérer. J’ai une personne qui est venue pendant deux ans, elle s’est rendue compte qu’elle avait subi ça enfant, et elle avait fait une amnésie. Elle était éducatrice spécialisée, et c’est une petite fille de son âge qui a vécu la même chose, et cela lui a réveillé. Au moment où la parole doit être libérée, elle sera libérée. Même si c’est sur le lit de mort. Je pense que les personnes qui ont vécu l’inceste, c’est vraiment un moment extraordinaire actuellement, leur secret peut être libéré. Vous imaginez, le lourd poids, le traumatisme…
L’affaire Duhamel a provoqué beaucoup de secousses, à de multiples niveaux.
Moi, je mets beaucoup de posts sur les réseaux sociaux. Et cela déchaîne beaucoup de réactions car cela parle à tout le monde. C’est fort. C’est un sujet qui prend aux tripes des gens. Suite à ça, des hommes m’ont contactée par les réseaux, et me racontent leur histoire. Je m’aperçois que beaucoup d’hommes ont vécu des viols enfants. Ils se sont tus toutes ces années et sont peut-être devenus des pères ou des hommes agresseurs. Pour le futur, cela va permettre une libération. Si ces personnes abusées se libèrent, cela va les reconstruire, et ils vont entamer leur travail thérapeutique. Chacun doit faire son propre travail. Moi, la justice restaurative m’a très bien convenue. Pour d’autres, la justice les a aidés, d’avoir porté plainte. Chaque personne est différente. On ne peut pas suivre les mêmes chemins de reconstruction. Moi, j’ai fait un long témoignage sur You Tube. En fait, j’ai remercié mes agresseurs. Pourtant ils ont été très violents, surtout l’un des quatre qui était carrément fou. Mais ce viol a complètement modifié ma vie. J’aurais eu une vie plus banale. Là, je me suis intéressée à un tas de domaines nouveaux, j’ai fait aussi beaucoup de rencontres passionnantes… Oui, je sais que cela va choquer les gens de m’entendre dire ça !
Entretien réalisé à Camarès par Odile Baudrier
Photos : DR.