Sabine Holdrinet, le tourisme pour me sentir vivante
Sabine Holdrinet est immergée dans le tourisme depuis plus de 25 ans, d’abord comme guide touristique, puis impliquée dans les séjours de groupes. La crise du COVID a brutalement stoppé son activité, mais cette femme dynamique a su trouver la motivation pour se relancer vers un nouveau projet novateur, dédié aux « visiteurs » en quête d’authenticité et de contacts.
Quel était ton métier avant le COVID, jusqu’au début 2020 ?
Je m’occupais du tourisme de groupe, des groupes de 20, 30, 50, 80 personnes et plus, qui viennent visiter l’Aveyron. Je créais des séjours sur mesure, avec l’hébergement, la restauration, les visites, en proposant des packs complets. J’avais quelques séjours pour des anniversaires, des départs à la retraite, qui concernent de 2 à 7-8 personnes. Mais c’était une partie minime de mon travail.
Depuis quand exerçais-tu cette fonction ?
J’ai créé mon entreprise il y a neuf ans. Et je suis dans le tourisme depuis 25 ans, toujours dans le tourisme dit réceptif. Au départ, j’étais guide sur la France et sur l’étranger. Je travaillais pour des agences de voyage dans le département de l’Aveyron, et de départements limitrophes. J’emmenais les touristes visiter en autocar la France, l’Europe. Ensuite, on m’a proposé de faire les longs courriers, Egypte, Mexique… Quand on part avec les clients, on apprend beaucoup sur le pays, les activités touristiques, sur les gens. Il y a toujours des petits soucis qui arrivent, et il faut les gérer, car on est toute seule. Dans le tourisme, on dit qu’il n’y a pas de problèmes, qu’il y a toujours des solutions. Cela s’avère vrai. Il faut toujours trouver un plan B. Cela m’a énormément forgée pour la suite.
Pourquoi as-tu souhaité stopper les voyages lointains ?
Ma fille Meghan allait rentrer en CP. C’était problématique car j’étais là une semaine sur deux ou 15 jours par mois. Cela devenait compliqué. Elle commençait à ressentir l’absence, elle restait avec les mamies, le papa, la nounou. La vie familiale a pris le dessus. C’était une expérience chouette, mais en même temps, c’est bien d’avoir arrêté la France et l’étranger, car cela m’a permis de rester sur place, et de me rendre compte que ce territoire était un terrain de jeu formidable, avec un tas de curiosités naturelles, de patrimoine, de gastronomie, d’artisanat.
Finalement, tu n’as pas regretté d’avoir fait le choix de l’Aveyron ?
Non, au contraire. J’ai été contente d’approfondir ce département. J’ai eu la chance d’arriver au moment de la construction du viaduc. Il y a eu un flot de touristes. Je travaillais à l’époque pour l’Hôtel Restaurant de la Cavalerie. La propriétaire avait agrandi, en passant de 8 chambres à 31. Elle voulait des groupes qui logent et qui partent tous les jours en visite. J’étais embauchée comme commerciale touristique. Très vite, j’ai eu beaucoup de groupes, et j’ai dû embaucher des guides locaux. La construction du Viaduc a vraiment été un tremplin énorme pour la région.
Pourquoi ensuite décider de créer ton entreprise ?
J’ai passé 11 ans à la Cavalerie. J’ai travaillé 10 ans avec la propriétaire, Marie José Bonnemayre, décédée il y a peu. A sa retraite, je suis restée un an avec le nouveau propriétaire, et j’ai trouvé que c’était le moment de prendre mon envol. J’avais un portefeuille clients, des agences qui me faisaient confiance, des hôtels qui me demandaient de leur créer des circuits touristiques. J’ai pensé que j’avais l’expérience, les reins solides et que c’était le moment. C’était l’année de mes 40 ans ! C’était un peu compliqué car ma fille avait 18 ans, elle allait rentrer dans les études. J’ai aussi décidé avec elle car j’allais gagner mon propre salaire, et je n’étais pas sûre de pouvoir répondre à ses besoins en tant qu’étudiante, et jeune. Elle m’a répondu C’est une opportunité exceptionnelle, et si tu ne le fais pas, tu vas le regretter. J’avais besoin d’avoir son regard car on a vécu des choses très fortes toutes les deux. J’avais besoin qu’elle approuve ce choix.
Tu voles alors de tes propres ailes, et globalement, les choses se passent bien jusqu’en 2019 ?
Oui, mes clients m’ont suivie, ils m’ont fait confiance. Le tourisme de groupe, c’est compliqué à faire, on n’a pas le droit à l’erreur. On a 40 ou 50 personnes à gérer, on ne peut pas les laisser sur le carreau. Jusqu’en février 2020. Où j’ai compris qu’il se passait quelque chose. On a commencé à avoir des annulations, des reports. Jusqu’au confinement où tout s’est écroulé. Le 17 mars, cela a été l’effondrement total. Tout s’est arrêté d’un coup. Pendant les deux mois du confinement, on a fait beaucoup de choses avec ma fille de 14 ans, de la cuisine, des puzzles, des bracelets de perle… Mais j’ai eu des moments de gros doutes. Et puis financièrement, que se passe-t-il ? Même si je sais rebondir, que j’ai beaucoup de cordes à mon arc. Mais pour moi, le tourisme est une passion même si je saurais faire d’autres choses. Cela me rend vivante. Depuis que je fais ce métier dans le tourisme, tous les jours que je me lève, je suis heureuse. Je ne vois pas que ça puisse s’arrêter. Après le confinement, cela a été très dur car tout rouvrait, et nous, dans le tourisme, rien ne se passait. Tout était annulé. C’est comme un cataclysme, comme un tsunami. Et là, j’ai eu un moment très difficile. Pourtant, je suis toujours positive, dynamique. J’ai eu l’impression que j’allais tomber en dépression tellement tout s’écroulait comme un château de cartes. Il y a eu un mois de passage à vide. Et je me suis dit que j’allais revenir aux bases de mon métier, pourquoi j’ai fait ce métier, comment j’ai commencé, en tant que guide. J’ai un trésor, je connais ma région, je connais tout le monde. J’ai repris les bases pour apporter une valeur ajoutée aux personnes qui sont déjà là. Je suis partie découvrir des endroits où je ne pouvais pas aller en autocar. Là, je travaille pour un projet pour les individuels, complètement autre chose. Cela ouvre le champ des possibles. On peut aller dans des endroits complètement différents. Il a fallu que je me structure. Cela m’a pris quelques temps. En parallèle, j’ai travaillé à l’accueil des Bâteliers du Viaduc, j’avais besoin de travailler, de voir du monde, d’être dans une équipe.
Tu as donc travaillé depuis l’automne pour rebâtir une nouvelle offre touristique, pour des gens curieux, à la recherche de choses originales ?
Oui, et surtout, avoir le temps de découvrir. Avoir envie d’avoir le temps. De sentir les choses. Et une convivialité que les gens attendent en ce moment. Cela passera par les cinq sens. J’ai envie de passer par tous les sens pour faire découvrir la région. Je pars en repérages toutes les semaines. Je vais découvrir des producteurs, des artisans. En fait, j’ai envie de revenir aux « paysans ». J’aime beaucoup de mot, gens du pays. Retrouver ce terroir. Et montrer aux personnes ce terroir, cette authenticité.
Tu t’inscris donc dans la tendance actuelle du tourisme local ?
Oui, je participe à des réunions avec des gens du secteur du tourisme, sur la France entière. Il en ressort le concept de « slow tourisme » : on prend plus le temps, on ne cavale pas à faire des kilomètres dans tous les sens. Tant pis si on voit moins de choses ! En fait d’ailleurs, on ne verra pas moins de choses. On ressentira plus de choses. C’est important de prendre le temps de découvrir les gens qui habitent sur place et animent ce pays.
Quels sont les acteurs avec lesquels tu échanges ?
Ce sont des groupements. Des acteurs variés dans le réseau IFTM, qui organise le salon du Tourisme. Un réseau d’agences où l’on réfléchit ensemble sur comment structurer les choses et comment les commercialiser. Car en fait, c’est la commercialisation qui a pris un coup aussi avec le Covid. C’était plus facile d’envoyer son programme à une agence de voyages qui proposait à ses clients. Là, on se retrouve avec un réseau de diffusion différent. Je m’occupe maintenant de Facebook, Instagram, ce que je ne faisais pas avant. Pour essayer de capter une nouvelle clientèle.
Selon tes échanges, cette nouvelle clientèle tournée vers le slow tourisme existe ?
Oui, elle existe. Les gens ont envie de voyager autrement. Ils prennent conscience aussi que la planète est à bout de souffle. Et ils ont envie de découvrir les gens du territoire avec le sens d’être plus des voyageurs que des touristes. Mais on n’a pas de visibilité de savoir si ce qui se ressent actuellement, cette crise, va-t-elle perdurer ? Est-ce que cela durera dans le long terme ou bien est-ce que tout reviendra comme avant ?? On ne le sait pas.
Malgré ces incertitudes, tu souhaites t’engager dans cette voie-là ?
Oui, car bien avant le COVID, je travaillais avec une agence de voyages qui me demandait pour de petits effectifs, de 10 à 15 personnes, avec des thématiques qui ne soient pas du tourisme de masse. Je m’y étais déjà intéressée, mais la problématique était financière. Est-ce que ça permet d’en vivre ?? Avec le tourisme de groupe, c’est plus facile, on travaille pour 50 personnes d’un coup, et pas pour 10.
Quand aboutiront ces projets ?
Je serai prête pour début avril. Je vais les proposer sur les réseaux, aux gens qui sont déjà arrivés sur place. Cela peut intéresser des Millavois qui reçoivent de la famille et n’ont pas trop le temps de leur faire visiter.
Qu’as-tu inscrit à ton programme ?
Des visites du côté du Lévézou, qui est moins exploré. Avec des personnes qui font du pain, des artisans, en liant le patrimoine et la découverte des produits à manger. Du côté du Larzac aussi. Je garde encore confidentialité sur mes programmes. Ce sera plus des visites dans des secteurs traditionnels de l’Aveyron, la gastronomie qui est importante dans le département. Et durant la visite, il y aura des arrêts sur des points de vue, une belle lecture de paysages, une découverte de patrimoine agro pastoral. Comme une cazelle, une église oubliée. J’accompagnerai ces balades avec des anecdotes croustillantes et des légendes.
Ce projet est-il motivant pour toi ?
Très. Je prends plaisir à aller faire ces virées. Je rencontre des gens extraordinaires, on sent qu’ils ont envie de montrer ce qu’ils font. Eux aussi traversent la crise, il y a les marchés, mais moins d’évènements. Ils ont envie de partager leur savoir-faire, d’expliquer pourquoi ils sont sur ce territoire. C’est un projet de tourisme plus humain avec plus de contacts. Et surtout un échange entre les gens. Cet échange permet aussi de préserver la planète, de protéger les générations futures. On a aussi envie de savoir ce qu’on mange, d’où ça vient, où c’est fabriqué. Et ici, c’est transparent.
Pour toi, les concepts, local food, local tourisme, représentent des atouts du futur ?
Oui. Même si après la crise, des choses reprennent comme avant. Mais je pense qu’on a cet atout-là. Et que dans un département comme le nôtre, les gens sont authentiques et ne trompent pas.
Est-ce que des gens t’ont particulièrement aidée dans cette période difficile ?
Oui, Marie Thomas, des Randonnées de Marie. Fred des Bâteliers du Viaduc. Jean Paul du Vélo Rail. Car on traverse tous le tsunami.
Que ressens-tu de t’apercevoir que le concept touristique traditionnel éclate ?
C’est violent. Car on repart presque à zéro. A un moment, on est obligés de tomber au fond de la piscine et de se dire qu’il faut y aller. Mais je crois que parfois, il faut se laisser aller, pour ensuite rebondir. J’ai rarement traversé des moments où j’ai puisé au fond de moi-même pour repartir et se réinventer. J’aime ce territoire, j’aime les gens qui le façonnent. J’aime les rencontres. Je leur apporte quelque chose dans mes découvertes et ils m’apportent aussi dans leurs tranches de vie. Cette richesse d’échanges me nourrit. C’est comme la sève d’un arbre. Si je n’ai pas tout ça, je meurs. C’est pour cela que je repars à fond dans ces visites pour vibrer, pour me sentir vivante.
- Interview réalisée par Odile Baudrier
- Photos : Gilles Bertrand