BENOIT SEVERAC, TON PERSONNAGE FAUT LE FAIRE BOUILLIR
Benoît Séverac est auteur de polars à succès. Invité au Festival Polars et Vins, le romancier acceptait un temps de lecture à la Maison d’Arrêt de Rodez. Devant 6 détenus, il expliquait son métier d’écrivain et la genèse de son dernier livre « Tuer le fils » inspiré d’une expérience personnelle pour avoir conduit un atelier de lecture mené en 2017 à la prison de Muret. Nous l’avons suivi et écouté.
J’étais prévenu «je ne viendrai pas en moto mais en 2 CV». Nous avions rendez-vous à 8h45. A 8h45 précise, la deuche est arrivée.
Couleur crème, peinture flaque, vitre avant gauche à demi ouverte, une série « Spécial ». De toute façon, une Deuche, c’est toujours spécial, comme un art de vivre, comme un art de conduire, pied au plancher, la route à 80, au max, le pif sur ce gros volant, le dos rond dans le moelleux des sièges, les genoux au menton, le cliquetis dans les oreilles, les freins en pédalage, les courbes en tangage.
Devant le 971 de la Rue des Routiers, Benoît Séverac s’extirpa de sa docile « Deux Pattes », veste en jean froissé et jean fripé. Devoir accompli, une petite virée matinale, un Toulouse – Rodez sans encombre, à bon port, le pilote mal rasé, un genou endolori mais la mine réjouie, ça valait bien une petite claque amicale sur le capot bombé.
Benoît Séverac est auteur de roman noir. Une notoriété enfin bien installée dans l’univers du polar, un récent passage remarqué à La Grande Librairie du très lettré et stylé François Busnel, avec en poche son dernier roman à succès « Tuer le fils » et un CV dans lequel on peut fouiller et piocher à foison pour construire un personnage de roman, il fut même à 15 ans gardien de troupeau chez un cousin du côté du Caylar et du Pas de l’Escalette dans le Sud Larzac.
Lorsque Paule Haminat, la présidente du Festival Polar et Vins, lui propose un temps de lecture à la Maison d’Arrêt de Rodez, l’auteur ne peut décemment refuser. Il viendra en moto ou en deuche mais il sera présent, comme en 2018, fidèle à ce salon littéraire où le noir de l’écriture fait bon ménage avec le rouge carmin d’un bon merlot. Car son dernier opus « Tuer le fils » prend justement source et inspiration dans un atelier de lecture que Benoît Séverac anima en 2017 dans le centre de détention de Muret pendant sept mois dans le cadre du «Marathon des Mots».
Sur le bas côté de la chaussée, nous sommes attendus par Marion, elle bosse depuis 2016 dans le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation comme coordinatrice des actions culturelles. Un petit bout de femme, vive et enjouée, pétillante et chaleureuse « faut respecter les horaires, on est juste à l’heure, on va monter, on aura le temps de prendre un café ». Entre le parking et la porte d’entrée verrouillée, présentation vite faite « le SPIP, c’est quoi ? » elle résume vite fait, bien fait, les actions de son service allant de la lutte contre l’illettrisme à faciliter les accès aux aides sociales et au travail lorsque vient le temps du retour à une liberté retrouvée.
Premier sas, une surveillante derrière une vitre teintée, lumière basse. Elle est blonde, elle est grande, un avant bras tatoué, sur son épaule gauche, un écusson, Marion taquine « c’est autorisé ça ? ». Un message en surpiqure sur le macaron « la patronne, c’est qui ? ». Benoît Séverac plaisante « ça, ça va se retrouver dans un polar ».
Nous vidons nos poches, nous dégrafons nos ceintures et nos montres. Le casier 15 nous est attribué pour nos sacs. Pas de clefs dans les poches, pas de téléphone, nous passons le portique, puis une seconde porte. Grande cour, un mat blanc porte drapeau, de grands massifs de lavande, nous suivons Marion. Une porte, un ascenseur, étage 3, un couloir, une odeur de café, surveillants et cadres sont réunis dans le bureau de droite. Ca discute entre collègues « tu devrais visiter cette prison, elle a du être construite dans les années soixante dix, ça c’est une prison !».
Sur la grande table, une radio, le magazine « Etapes », la revue des personnels de l’administration pénitentiaire. Dans un angle du couloir, une photo de cette prison construite en 2013 posée sur un chevalet « tu vois, nous sommes là » précise Marion.
TROIS SYMBOLES DE LA RESISTANCE ET DE LA LIBERTE
Nous nous esquivons poliment. Maggie nous rejoint, étudiante en droit à Toulouse, en stage pour découvrir l’univers carcéral. Nous rejoignons un second sas, la salle des API, nous écoutons attentivement les explications sur le fonctionnement de cette alarme portative. Benoît Séverac se saisit de la radio et clipse l’émetteur sur sa ceinture. Nous sortons.
Sur notre gauche, encore un grand escalier métallique à grimper, nuages en édredon, ciel sous tension, quelques gouttes de pluie, sur notre droite, le terrain de foot, grand rectangle de lumière posé comme un drap blanc. Nous saluons Martine en charge du quartier socio-culturel. Grand couloir, peinture verte pâle, lumière acide, de grandes fresques au mur, les visages de Simone Weil, Nelson Mandela, Jean Moulin, trois symboles de la résistance et de la liberté. Nous entrons.
Romuald passe la tête. En mars dernier, à la libération de Karim, la direction le choisit pour gérer la bibliothèque de la Maison d’Arrêt. Avec Marion, ils se vouvoient. Tous les deux se tiennent dans l’embrasure de la porte « j’ai réorganisé la bibliothèque, j’ai trié les livres, les BD, par genres. J’avais besoin de cela, pour moi, c’est une ouverture. J’aimerais créer une activité littéraire en formule libre ». Marion écoute « j’aimerais que l’on travaille sur l’idée de la liberté lorsque nous en sommes privés. Pour réfléchir à plusieurs. Quand on travaille l’esprit, on peut changer la donne ». Marion l’encourage, il précise « en ce moment je passe une licence en droit commercial ».
Romuald se tourne vers moi, il croise mon regard, je lui pose cette question « mais vous aviez le Bac pour rentrer en licence ? ». Il répond « moi, j’ai quitté l’école à la fin de mes 16 ans. J’ai enchaîné les petits boulots, en menuiserie, en boulangerie ». Il sourit et ajoute avec la formule suivante « moi, je suis passé de Bac – 2 à Bac +2 en obtenant un BTS en transport ». Il enchaîne « Moi, mon objectif, c’est d’avancer dans la vie. Même ici. Le choc carcéral, ça a duré deux jours et je me suis dit « faut que j’avance. Car la vie, ce n’est pas d’attendre. J’avais ma propre entreprise, je l’ai perdue, mais j’ai bon espoir de la rouvrir. Vous savez, de ma cellule, j’ai la chance de voir la route. Je vois passer les camions. Les camions, c’est ma passion. Quand ils passent, je les regarde, je suis comme un gamin, c’est ma liberté ».
Six détenus arrivent dans la salle. Des bonjours polis, rien de plus. Nous organisons les chaises en cercle. Marion se charge de l’introduction « si vous êtes curieux, n’hésitez jamais à vous inscrire à ces temps d’échanges et de rencontres. Des fois, ça plaît, des fois non. Ca ne rapporte pas de RPS mais d’être ensemble, parfois, on peut voir où on peut aller ».
Benoît Séverac se présente, le buste plié en deux, les deux coudes sur les genoux, son livre « Tuer le fils » serré entre les mains comme un missel de messe. Des pages sont annotées, des morceaux choisis quand viendra le temps de la lecture «je vous proposerai quelques lectures et ensuite on parle » il s’excuse en précisant « je ne m’attends à rien » pour laisser filer les mots, capter des regards, ouvrir des brèches aussi étroites soient-elles, la taille de la pointe d’un BIC pour lâcher une impression, un sentiment « je suis dans le roman noir. Finalement, les enquêtes de police ne m’intéressent pas ». Une première question fuse d’un jeune homme, cheveux mi-longs assis face à l’auteur « et Mary Higgins Clark, ça ne vous intéresse pas ? ». Réponse du romancier « moi, j’aime les enquêtes simples. On n’est jamais dans une scène de crime. Je suis là pour explorer les phénomènes de société. Je rentre par le biais de la psychologie. Ca part d’un coup de gueule. Ca part d’une émotion forte. Mon dernier livre est né d’une expérience personnelle en prison à l’occasion d’un atelier de lecture. On faisait ce que l’on voulait. On parlait de ce que l’on voulait. J’y ai vu des gens avec leur sensibilité, à parler de leur enfance, à revenir sans cesse à leur relation avec le père, ça m’a marqué. Ce fut une expérience super forte. Pour le livre, j’ai exploré ces relations père – fils ».
Les hommes sont attentifs, parfois regards directs, parfois yeux mi-clos, jambes croisées, l’un d’entre d’eux griffonne des notes en triturant nerveusement son stylo. Parfois des petits mouvements de tête pour acquiescer aux propos du narrateur, sans mot dire. Benoît Séverac en vient aux faits « je vais vous faire le pitch du livre. Le père, c’est un salopard ». Ca fuse encore en face « c’est un gentil mot »… » le mot juste serait délétère ». Le jeune homme poursuit « vous faisiez quoi comme boulot ? »… « j’ai longtemps été prof »… »Ah, je m’en doutais, à cause de votre dégaine ». Dégaine des détenus, baskets Nike, tee-shirt, pantalon souple. Le jeune homme a 27 ans dont 7 dans la rue, gare du Nord, gare de l’Est, le soir à dormir sous une tente à fumer une saloperie achetée avec le fric de la mendicité « je me faisais 400, 600 mais tout partait dans la cocaïne. Le soir, j’étais à zéro sous la tente. J’ai quitté la rue pour ma copine. Pourtant, je m’y plaisais même si c‘était la crasse. J’ai arrêté pour elle. D’un coup, j’ai fumé deux galettes et je suis parti, j’ai tout arrêté ».
Premier instant de lecture, le silence s’installe dans cette salle où la lumière des dix néons plaqués au plafond est écrasante. Le romancier balaie les pages, un marque page de fortune indique le passage à lire. Voix posée, débit lent, brève respiration après chacune des phrases, petit accent toulousain dans les déliés. Le morceau choisi, le chapitre consacré à présenter Sylvia, l’épouse du flic Cérisol, chargé de l’enquête. Ecoute attentive, seul l’homme de gauche s’écroule sur sa chaise, le buste penché sur une table, yeux fermés. Benoît Séverac explique les contours de ce personnage « c’est la seule femme du livre. Son rôle est important car c’est grâce à elle que beaucoup de choses avancent ». Le bibliothécaire intervient « comme lecteur, on s’attache à un personnage comme par exemple dans les romans d’Harlan Coben. On apprend à les connaître, on devient presque copains ». Rien de tel dans les romans de Benoît Séverac, pas d’inspecteur fétiche comme chez Mankell avec Kurt Wallander ou Harry Bosch chez Michael Connelly, l’auteur précise « j’adore mes personnages mais mes héros « meurent » à la fin et Cérisol va mourir à la fin ». S’en suit une digression entre thriller et polar, Romuald précise sa pensée « les gens sont fascinés car potentiellement au fond de nous, nous sommes fascinés par cette ligne rouge qu’il ne faut pas franchir »…réponse du romancier « on est attiré par les grands fauves ». Dans la salle, on se tortille sur sa chaise, des noms fusent de policiers héros des vieilles séries policières, Colombo, Maigret, Derrick. Ca rigole, l’atmosphère se détend, il est temps de se plonger à nouveau dans les pages de ce roman pour mieux comprendre qui est Matthieu Fabas, tout juste sorti de taule après avoir commis un crime homophobe odieux et déjà présumé coupable du meurtre de son père. Chapitre 4, lecture du carnet intime écrit par Matthieu Fabas participant à un atelier d’écriture lors de ses 13 années à l’ombre à purger une peine longue. Le morceau choisit se termine ainsi « « il y en a dehors pour considérer que nous jouissons de conditions bien trop confortables. « Ils ont même la télévision dans leur cellule ! »…. » « et on a même le frigo» L’homme que l’on croyait endormi brame une phrase, l’auteur est interrompu net, Benoît Séverac envoie un direct « Tu m’as pété ma dernière phrase ». Un détenu se retourne « allez, continue à faire dodo ». Benoît reprend son souffle et termine sa phrase « comme si la télévision rendait libre ».
“Vous êtes motard ? Vous roulez avec quoi ?
Troisième temps de lecture, l’heure tourne, le temps autorisé est dépassé, une surveillante baraquée comme David Douillet met une épaule dans la porte déverrouillée « OK, vous pouvez aller jusqu’à 25-30 ». Nous remercions, la porte claque, Benoît Séverac ouvre son roman, ses doigts s’arrêtent sur le chapitre 15. En haut de page 94 est précisé en gras « cahier de Matthieu Fabas, centre de détention de Poissy, mardi 3 avril 2018, atelier d’écriture n°4 ». Matthieu écrit dans son carnet intime « j’ai choisi de parler du concert de Johnny que je suis allé voir avec mon père en 2012 au stade de France. J’avais 18 ans. C’est un des souvenirs les plus forts de ma vie, et les plus amers ». Les détenus écoutent avec plus d’attention que lors des deux premiers passages. Il est question d’un concert et d’un Johnny endiablé, de moto et de motards enflammés, est-ce la raison ? Un détenu qui, jusqu’alors, était resté muet et impassible sur sa chaise demande d’une voix douce « vous êtes motard, vous roulez avec quoi ? »… « je roule avec une XSR 900 » le détenu de répondre « moi, j’ai une SV1000 ». Benoît Séverac explique «je suis motard et dans mon roman, j’ai voulu montrer certains aspects méconnus de la moto. Car vous savez, dans ce milieu, il n’y a pas que des anges. A Toulouse, j’étais pote avec un chef d’atelier d’un garage. Le soir, les copains s’y retrouvaient à la fermeture. On passe par derrière, on sert le whisky, ça fume, ça picole, ça bricole. Je laisse trainer mes oreilles et je récolte du matériau dont je me sers dans mes romans…». Le détenu motard embraye « j’ai grandi aux Antilles, quand un gars avait la peau plus noire que les autres, on lui disait « t’es noir comme un Haïtien ».
Sans temps mort, sans craindre une réponse fuyant dans les corridors, le bibliothécaire pose cette question très personnelle « lorsque tu as une âme littéraire, que tu as toujours écrit, comment sais-tu que tu peux passer du texte personnel à un roman ? ». Peut-être était-ce l’instant attendu pour Romuald, dans l’urgence du temps qui passe si vite à écouter l’homme porte-plume à la fois fragile et robuste de dire « je suis assez désespéré par l’être humain mais j’aime trop l’humain. Je suis toujours entre dépression et exaltation » à écouter l’album Harvest de Niel Young « allons-nous lâcher prise ou nous fondre dans le soleil ? » saoulé par une ravageuse mais savoureuse mélancolie. La réponse de l’auteur aux 17 romans est directe « il n’y a que toi qui peut le sentir. Il n’y a que toi qui sait que tu as un truc important à raconter, qu’il est urgent de raconter pour les autres. C’est non contrôlable. C’est un acte très fragilisant. Ca va devenir une obsession et tu vas te donner le droit de le faire en passant du temps à donner de la chair à un personnage. Je t’ai entendu parler de discipline, là c’est pareil. Tu dois écrire tous les jours ». Romuald tient un journal de bord, déjà 80 pages noircies. Il glisse « Ca canalise l’esprit. Tu pars moins en vrille car parfois tu as des remontées». Le romancier ajoute « tu vas faire vivre tes personnages dans ta tête. Il faut les faire bouillir pour les faire sortir »… Pour tuer le fils ou tuer le père ?
. RPS : Réduction de Peines Supplémentaires
. Tous les prénoms ont été modifiés
. Tuer le Fils aux éditions La Manufacture des Livres