Serge Sécail, le sens du collectif
Voilà 57 ans que Serge Sécail a pris sa première licence au SOM Rugby, et depuis, de joueur à entraîneur et dirigeant, ce sport l’a façonné par cet esprit collectif qu’il conserve dans toutes les facettes de sa vie. Des années durant, cet éducateur a initié au sport les jeunes scolaires de Millau, avant d’assumer durant le mandat de Guy Durand, la fonction d’adjoint aux sports de la Ville. Tout récemment, Serge Sécail s’est distingué par la réussite du Forum des Associations, qu’il préside, en parallèle de la sortie de son livre, « Millau l’inspirante », consacré aux grosses associations sportives de Millau.
- Je voulais d’abord revenir sur le beau week-end associatif que tu as pu provoquer en reprenant la direction du Forum des Associations.
- Ce forum des associations est une chose très importante à la rentrée pour redémarrer la vie associative, et encore plus après cet épisode COVID où la vie associative a été pratiquement arrêtée. A ce moment-là, beaucoup de personnes ont remarqué que cet arrêt était préjudiciable à la vie de tous les jours, et encore plus pour les gens qui ne sont pas en activité professionnelle. Notamment les retraités, qui sont privés de contacts, de lien social. Je faisais partie de l’équipe précédente, mais je n’avais aucune fonction dirigeante. Quand l’équipe a arrêté, j’ai dit qu’il fallait faire quelque chose pour ne pas que ça s’arrête complètement. Il était question de le confier à la mairie, mais s’il n’y a pas une implication motivée et citoyenne pour donner une autre dimension que commerciale, ce n’est pas bon. Nous avons voulu ajouter un côté festif, convivial. Et la première décision a été de délocaliser le forum, de l’amener du centre ville avec les avantages et inconvénients que ça représentait, au Parc de la Victoire avec les avantages et inconvénients. Au vu des retours, 100% d’associations ont trouvé le lieu plus adapté. Au départ, nous l’avions choisi pour être plus aéré par rapport au COVID, mais il a permis d’ajouter une dimension d’animation et sportive très appréciée.
- Un bilan très positif avec pour clôturer le forum, un spectacle inter-générationnel, réunissant des plus jeunes aux plus âgés.
- Là aussi, il s’est agi d’un pari. J’ai l’avantage et l’inconvénient d’avoir un peu d’âge. Donc j’ai un réseau associatif important. A travers une rubrique rédigée dans le journal de Millau, j’ai pu rencontrer des gens du milieu associatif. Dans ce cadre, j’ai rencontré Silva Ricard. Nous avons pu parler de sa vie antérieure. Silva, une femme de talent, qui a du caractère, de la pugnacité, m’a dit Il faut qu’on fasse quelque chose pour redonner le sourire aux gens. Dès le mois de mars, on a démarré sans savoir vraiment ce qu’on allait faire. Et puis de rencontre en rencontre, Silva, qui est très fédératrice, a su mobiliser une équipe à un moment où tout le monde était à l’arrêt. Malgré tout, elle a pu faire travailler par petits groupes, avec deux répétitions générales. Mais avec le cœur, elle a donné du bonheur aux gens. Cela n’a pas de valeur. Quand on voyait les personnes âgées du Foyer Soleil, avec la doyenne de 95 ans, prendre une bouffée d’oxygène, partager avec des petites. C’est beau ! Le but du jeu était de redonner espoir et sourire.
- La réussite a donc été totale.
- Comme on n’avait pas de budget, on est passés par des moments difficiles. La sono a pris l’eau pendant l’averse de midi. Il a fallu trouver une sono de remplacement, Anne Marie Couvert nous a prêté une petite sono pour faire l’après-midi, mais cela ne suffisait pas pour le spectacle de Silva. J’ai appelé mon frère qui est dans la sonorisation, et vit à 1 heure d’ici. Je l’ai joint à 15 heures, et je lui ai demandé de venir nous dépanner. Mais tout cela a ses limites ! L’année prochaine, on va repartir sur un format amélioré, avec des professionnels.
- Ton automne est chargé, puisque tu publies le livre sur lequel tu travaillais depuis près d’une année, consacré à des associations de Millau. Comment est né ce projet ?
- Ce projet est né avec l’arrêt de la vie associative. Moi qui suis impliqué tous les jours, je me suis retrouvé à l’arrêt. J’ai mis à profit cette période-là pour faire remonter toutes les belles initiatives locales que je connais pour y avoir trempé de près ou de loin, et pour apprécier les personnes qui portent ces grandes manifestations. L’idée est venue d’articles sur le Journal de Millau, en plusieurs chapitres. Et le directeur, Thierry Favier, m’a parlé d’un livre où je compile ces articles. Cela a été lancé à Noël dernier. J’ai donc publié ce livre que j’ai appelé Millau l’Inspirante car Millau inspire beaucoup de gens dans le milieu associatif, et beaucoup de gens sont peut-être venus à Millau à cause de cette qualité de la vie associative.
- Combien d’associations sont présentées dans ce livre ?
- J’ai limité par le fait que j’ai voulu transcrire que les associations porteuses d’une manifestation de notoriété et sur la longueur. Que ce ne soit pas éphémère, pour présenter des gens présents sur la durée qui permettent que Millau soit reconnu comme l’excellence associative.
- C’était la première fois que quelqu’un se lançait dans un tel projet. As-tu été bien accueilli ?
- J’ai été très bien accueilli. Parfois, les gens étaient surpris. Puis on parle à bâtons rompus. Les gens me connaissent avec mes qualités et mes défauts. Mais ils savent que je ne suis pas un tricheur, et que j’aime les gens. Volontairement, j’ai limité à des manifestations de notoriété, et qui amenaient beaucoup à la ville.
- Ce n’est pas ton premier livre.
- Mon premier livre était né d’une déception après l’échec aux Municipales en 2014. J’ai été un peu perturbé. Pour laver les esprits, je me suis mis à écrire un livre autobiographique, que j’ai appelé, en clin d’œil avec le rugby, « De mêlée en démêlé ». Je lie ma vie à Millau, à travers l’école, le sport, la politique. Ce livre retrace une carrière de bénévole. Il a rencontré un bon succès, avec 550 exemplaires vendus. Les gens se reconnaissent à travers les anecdotes croustillantes de la vie millavoise.
- La déception avait été très forte lorsque tu n’as pas été réélu avec la liste de Guy Durand.
- Oui, très forte, car pour moi, elle était inattendue. Quand on n’est pas conditionné à quelque chose, cela a été un choc que j’ai maîtrisé grâce à l’écriture de ce livre, à ma famille, ma femme, qui me supporte depuis 45 ans.
- Tu étais d’abord et avant tout un éducateur sportif dans les écoles. Sur quelle période ?
- C’était une belle période, au service des sports de la ville de Millau, où on enseignait dans les écoles l’éducation physique à tous les enfants du CP au CM2. Avec une équipe d’éducateurs hors pair et innovants, puisque dès 1986, on avait mis en place des stages sportifs multi-activités, qui continuent encore aujourd’hui. Maintenant, c’est la troisième génération d’enfants qui arrivent, les parents, les grands-parents ont connu ces stages ! j’ai eu la chance de travailler dans un milieu où nous étions des amis. Avec une très grosse solidarité entre nous, une très grosse confiance. Et je pense qu’on n’est pas étrangers à ce que Millau ait un développement associatif sportif de qualité. En 1986, déjà, on enseignait dans les écoles des sports qui n’étaient pas encore au goût du jour, le kayak, l’escalade. On a donné goût à l’effort. Millau peut se targuer d’être une petite capitale des sports, notamment de pleine nature.
- Ton implication dans l’associatif s’est surtout manifestée dans le rugby.
- Oui, je suis arrivé dans le rugby à 15-16 ans. Auparavant, j’étais passé par les Eclaireurs, l’Hirondelle Millavoise. A l’époque, il n’y avait pas d’école de sport, la seule société sportive qui accueillait des enfants était l’Hirondelle Millavoise. J’y suis resté trois ans. Puis à 12 ans, j’ai rejoint les Eclaireurs avec des copains, j’étais un peu aventureux. On sortait un week-end sur deux en autonomie, avec un chef de patrouille qui avait 14 ans. C’était système débrouille d’entrée !
- Et après, tu as découvert le rugby.
- J’aurais aimé commencer avant, mais il n’y avait pas de cours. J’étais un petit gabarit. A l’époque, à 16 ans, certains faisaient 25 ou 30 kilos de plus que moi. Avec ténacité, je me suis fait ma place et j’ai trouvé un endroit où j’ai pu m’épanouir. Et on a eu une aventure fantastique puisqu’en 4 saisons, on a franchi 4 étapes, de division d’honneur à division nationale, avec le même groupe. Ce sont des moments uniques, qui te marquent à vie. Et tout le bonheur que j’ai pris, je voudrais le restituer. Donc transmission. C’est ce que je me suis appliqué à faire avec mes copains du service des sports, pour donner le goût, pour avoir envie. Maintenant, nous avons une équipe d’éducateurs, que, pour la plupart, j’ai eu en élèves. Cette transmission est une grande réussite pour moi. Donner envie, que des gens puissent continuer ce que toi, tu as commencé petitement, et qu’ils font maintenant avec plus de talent, c’est une grande satisfaction.
- Tu commences le rugby à 15 ans, et depuis, tu n’en es jamais sorti ?
- Non. Je suis rentré en 1964 à 15 ans. J’ai quitté le club pendant un an quand j’étais militaire, j’étais sur Toulon. J’ai joué un an, junior, à Toulon. Ma seule infidélité au club ! Cela m’a permis de côtoyer des grands noms du rugby qui ont joué en Equipe de France. J’ai eu la chance de jouer avec Daniel Herrero, qui a mon âge, et était le capitaine de l’équipe junior. C’est un personnage, prof de sports, chercheur. C’est un gars qui avait beaucoup d’avance, et une façon de s’exprimer hors du commun. Grâce à ces gens-là, ça m’a permis de prendre confiance. A 20 ans, l’officier des sports m’a dit d’entraîner l’équipe de la base militaire, formée à 80% d’officiers. Moi, j’entraînais des capitaines et des commandants de la Marine, j’ai pris confiance. En rentrant de l’armée, je suis devenu éducateur au club, je me suis formé. A l’époque, ça ne se faisait pas beaucoup, c’était surtout empirique. Je suis parti dès 1971 faire des stages d’initiateur, pour une semaine. Je suis arrivé en 1978 au 3ème degré, qui était le plus haut niveau de l’époque. En 1978, je me suis retrouvé propulsé à 30 ans à entraîner l’équipe de Millau, formé de mes anciens partenaires ! Moi, j’ai décroché rapidement le jeu, j’ai eu deux accidents de rugby, et je me suis reconverti dans l’encadrement.
- Tu es ensuite devenu un dirigeant du club.
- Je suis devenu responsable de l’école de rugby pendant 20 ans. Puis je suis revenu en équipe 1. On m’appelait Manpower ! Quand il y avait un problème, on faisait appel à moi. J’ai entraîné les seniors 2 fois en cinq ans, pour dépanner. Puis je suis devenu secrétaire du club. Je suis licencié au club depuis 1964.
- Ce credo école de rugby, entraîneur, cela correspond aussi à des valeurs que tu souhaites transmettre ?
- Ces valeurs sont importantes et primordiales. Ce sont des valeurs de respect. Le rugby est un sport de combat collectif, avec des règles. Si on transgresse ces règles, on peut tomber dans la violence. Ces règles strictes imposent le respect pour l’arbitrage, même s’il y a parfois des fautes d’arbitrage. Cette forme de respect perdure, et j’espère que malgré le rugby professionnel qui tire vers le haut, avec des exemples pas toujours à suivre, le rugby gardera ces valeurs de respect indispensables. On le voit dans notre société où plus personne ne respecte rien. Il faut qu’il y ait des règles, qu’elles soient acceptées, par tout le monde. N’importe quel joueur qui fait une bêtise doit être sanctionné même si c’est un bon joueur.
- Et de quand datent tes opinions socialistes ?
- J’ai toujours eu des idées de gauche parce que mon père a été militant dans ses jeunes années. J’ai toujours baigné dans le militantisme à la maison. Cela nous a donné le goût de la politique. Mon père avait des idées de gauche, il nous a transmis inconsciemment les valeurs dans lesquelles je me retrouvais et qui continuent à m’animer. Je n’ai adhéré au Parti Socialiste qu’en 2012 quand le PS était au plus mal. Moi, j’ai fait l’inverse de beaucoup, qui adhèrent quand tout va bien. J’ai pensé que c’était normal d’adhérer à un parti car sans partis, c’est l’anarchie. Même si ces règles sont parfois transgressées par le milieu politique. On a tendance à dire que c’était mieux avant. Je pense que c’est mieux maintenant. Avant, c’était pire, mais on ne le savait pas. Maintenant, les dérapages sont plus connus.
- Lorsque tu as été élu en 2008 sur la piste de Guy Durand, tu n’étais donc pas encarté socialiste à ce moment-là. Tu avais donc été choisi car issu de la société civile et associative.
- Guy Durand m’avait choisi car venant de la société civile, et de l’associatif. J’étais à la fois éducateur sportif, et très engagé dans le club de rugby.
- Tu as donc connu un mandat d’élu de 6 ans et une très longue vie associative. Où t’es tu senti le plus utile ?
- Moi, je dirais qu’on est utile partout. Mais à des postes différents. Educateur, donner de l’éducation, ça n’a pas de prix. C’est la base d’une société bien constituée. Après, quand je me suis retrouvé élu, le regard des autres a changé par rapport à moi. Mais moi, je n’ai pas changé ma façon de fonctionner. Je suis resté le même. Je n’étais pas Dieu le père. Je faisais le maximum pour être utile au milieu associatif à travers la délégation sports et vie associative. Je pense que j’ai été respecté, et que j’ai respecté les gens. Je pense avoir fait des erreurs comme tout le monde, mais je pense avoir été honnête. Mais j’ai vécu aussi comme un échec les « Pieds sur Terre » initiés pendant la campagne. Là, mon manque d’expérience politique a fait qu’on a manqué un acte fondateur. Nous étions en avance en 2009 pour créer cette grande fête autour de l’écologie. Je me suis fais manger par des gens qui, politiquement, avaient de l’expérience, et qui nous ont entraîné dans un créneau trop politisé, qui nous a fermés d’un certain milieu associatif. Alors que l’idée était noble et généreuse de faire de Millau une vitrine et un exemple de ce que pourrait être la vie associative, sport ou culture, en respectant l’environnement, les autres. Nous étions initiateurs d’une belle idée, mais on était peut-être trop en avance à l’époque pour un tel projet. Et on a jeté l’éponge au bout de deux ans.
- Concernant la nouvelle élection de 2020, pour quelle raison n’as-tu pas souhaité te représenter ?
- On ne va pas poser le problème comme ça. C’est vrai que j’aurais aimé être pris sur la liste, mais comme toute liste d’ouverture que Manu Gazel a fait, il fallait faire des arbitrages, des équilibrages. Quand Manu m’en a parlé, je lui ai répondu Je viens d’un sport collectif, ne te fais pas de souci, je ne serai pas un caillou dans ta chaussure. Prends des gens plus jeunes, peut-être moins marqués que moi de l’époque Durand, et qui pourrait être un frein à cette envie de fédérer autour d’une belle personne qui est Manu Gazel.
- Tu as donc renoncé sans amertume.
- Disons qu’il a fallu que je l’avale, que je le digère. Je n’ai pas du tout d’aigreur. Avec du recul, je me dis aussi que mon épouse est maintenant à la retraite, et qu’être élu est un engagement de tous les jours, matin et soir car moi, je ne me vois pas ne pas être sr le terrain à l’écoute des gens. Là, j’ai un peu plus de liberté, qui permet de faire des choses sans contrainte et avec grand plaisir. Mais je suis attentif à la vie associative et municipale. Manu, je la considère comme une amie, elle m’a d’ailleurs préfacé mon livre et j’ai beaucoup d’affection et d’estime pour cette fille. Mais il y avait trois personnes issues du Rugby sur sa liste, et avec moi, cela faisait quatre. C’était trop ! Moi, j’ai 73 ans, j’ai fait mon temps, je serai utile autrement. Tant que j’ai la santé et la pêche, je le ferai.
- Le Forum des associations a aussi été un projet qui t’a permis d’atténuer cette déception et de t’impliquer dans un projet collectif comme tu les aimes.
- Moi, j’aime cet aspect collectif, comme le rugby. Rien n’est plus beau que les réussites collectives. Elles sont toujours boostées par des hommes et des femmes qui sont à la tête, mais sans cette capacité à fédérer les bénévoles…, on ne pourrait rien faire. Pour moi, et pour les autres personnes de Grands Causses Bénévolat, c’est une grande satisfaction d’avoir su fédérer le milieu associatif pour redonner un peu de couleur et de sourire.
- As-tu un autre projet de livre ?
- J’ai un autre projet, toujours dans le milieu associatif local, mais dans d’autres domaines, celui du domaine social, où il y a de belles réussites associatives, avec de belles personnes qui portent ces projets. Cet hiver, je vais commencer les rencontres, je vais attaquer avec une amie, Josette Hart, pour le Jardin du Chayran, qui va fêter ces 20 ans, et qui est une réussite associative exemplaire, qui permet de donner de l’espoir à des gens mal embarqués dans la vie. Je vais m’atteler à ça cet hiver.
Entretien réalisé par Odile Baudrier le 20 septembre 2021
Photos : Gilles Bertrand