IL EST TROP TARD POUR ETRE PESSIMISTE

Originaire de Bretagne, Marie Thomas s’est installée en Aveyron pour vivre un rêve, marcher portée par un vent de liberté. Les «Randonnées de Marie», c’est partir à la conquête de l’essentiel sur une terre, le Larzac, qui a du sens. Rencontre dans sa roulotte posée sous le nez de la Pouncho.

Ailleurs, ici et là, nulle part.

Ailleurs, un doigt sur une carte, un point noir sur l’océan, ici et là nulle part dans l’univers.

Ailleurs, au centre d’un cercle, au bord d’un cratère, la tête dans le vide, les deux jambes dans le vide, ici et là, nulle part sur la terre.

Ailleurs, aussi loin, aussi proche, ici et là, quelque part dans ce grand jardin divisé en quatre quarts, avec Marie Thomas, on est toujours ailleurs, ici et là, quelque part.

Au fond de cette impasse, au bout du bout de ce chemin de Caussibols, sous cette pinède qui se dandine les jours de vent d’autan comme une grande bourgeoise sur une balancelle, j’étais sûr de trouver Marie Thomas, ici et ailleurs. Si proche de tout et déjà loin de tout.

Cette roulotte, je la connais. C’est celle de Gégé et Anne, Gégé tristement disparu, 14 ans déjà, Anne qui n’a peut-être pas séché toutes ses larmes mais toujours aussi pétillante. Cette roulotte, elle est là dans cette herbe fraîche, sous cette pinède où la barbe blanche de la Pouncho se devine entre les branches.

A l’entrée, un pied de persil qui a poussé dans une chaussure de rando, un clou, une poêle accrochée, une bassine, de la vaisselle,  des assiettes retournées sur une petite table, je suis rentré.

Marie Thomas habite cette roulotte depuis une petite année. De jolis petits rideaux aux vitres, sur le carré de l’une d’elles est écrit «il est trop tard pour être pessimiste». Ca tient sur les doigts des deux mains, il y a juste l’essentiel, pas vraiment une maison de poupée, tout simplement, la maison de Marie Thomas. Sa richesse, un futon, un poêle à charbon guère plus gros qu’un carré de chocolat, un tabouret à trois pieds, trois théières, un panier en osier, quelques affiches, quelques livres, de vieux papiers, un tambourin tissé de ses mains et une petite valise rouge écossaise vite ouverte, vite déballée comme une introduction, manière de dire « allez je t’invite, voilà, c’est un peu toute ma vie » avec ses photos de familles, ses carnets de voyage, son journal intime. Elle sourit, elle me tend une image écornée «regarde, c’est mon père, il avait la moustache».  L’homme tire un filet de pêche, un poisson frétillant accroché aux mailles, elle dit «mon père était un mauvais pêcheur».

Marie Thomas est bretonne et fière de ses racines. Ne dit-elle pas «j’aime être le nez dans les embruns. J’aime avoir des bottes au pied. Et quand j’écoute de la musique bretonne, là je m’écroule. C’est comme une évidence. C’est un lien, comme si mon cœur était directement relié à la Bretagne».

De cette Bretagne fouettée aux vents salés, elle se souvient des odeurs, de l’ambiance du bateau à bord, de la toile cirée dans la cabine «c’était comme une bande dessinée». Elle se souvient de l’AX Rouge, sa mère filant vendre le poisson frais à la criée au port de Vannes, laissant la gamine chez Marie Charlotte la mamie, se retrouvant au petit matin sous la couette, la grand-mère lui racontant la vie du grand-père jouant de l’orgue à l’église, les viols cachés dans les campagnes. Des odeurs encore, os de seiche, algues séchées, Bruno et Catherine les parents courbés, grandes aiguilles à la main à recoudre les filets.

Marie Thomas aurait pu être cormoran ou goéland, plus sûrement oie sauvage. 18 ans l’âge de dire merde, 18 ans sonnés, BAC S option voile en poche, c’est la bonne heure pour trouver un ailleurs. Ce sera la Nouvelle Zélande en pensant Islande. Elle rigole « j’avais confondu les deux pays ». On lui disait «tu vois le cadre ?» Sa réponse «ah non, je ne vois rien». Son cadre à elle, pas vraiment bien dessiné, une sorte de bulle protectrice, pour naviguer telle une anguille, pour simplement rêver, elle affirme «le rêve fait partie de ma vie».

Un aller simple pour Christchurch, trois ans pour obtenir une licence en agronomie et anthropologie et ce retour en vélo, 18 000 kilomètres en neuf mois, manière de ralentir le retour, de freiner le temps, de jongler avec les rêves, de chasser les effrois et de se gaver d’émois.

A son retour, c’est un peu la petite chérie, la voyageuse, l’aventureuse, celle qui a vu le monde, celle qui a tiré la bonde pour s’échapper dans ce courant d’eau fraîche. Elle se cherche, elle rentre finalement chez Veolia pour valider sa licence « j’ai découvert le monde industriel, je vivais à Montmartre, j’ai adoré ». Ici et ailleurs, Marie Thomas prise en étau, entre réalisme et idéalisme, choisir, comment choisir ? Elle ouvre une crêperie-brocante mais un chasseur de tête de chez Veolia lui téléphone « c’est toi qu’on veut ». Elle hésite, c’est retour à Paname, le pragmatisme l’emporte, une parenthèse, un stage de neuf mois «et on me propose un poste de ferrailleuse dans le Béarn». Là encore, elle dit de sa grande bouille illuminée, de ses grands yeux gourmands et giboyeux « j’aime les métaux, le ferreux. Les ferrailleurs, ce sont des magouilleurs, j’ai aimé cela. Sauf que Veolia voulait arrêter le black et informatiser l’entreprise. Là, je me suis mis dans le rouge et j’ai craqué».

Ici et ailleurs…voilà, moi assis sur le plancher de cette roulotte, le dos au « mur », Marie assise en tailleur, à bouger, à mouliner des bras, le visage illuminé par une lumière de cire s’invitant pour adoucir les souvenirs, le plancher de craquer, Marie la vagabonde qui se raconte à sauter, à cloche pied sur ces pierres qui roulent, évitant la noyade, les herbes folles…Là voici sur le GR20 en Corse, une nouvelle parenthèse, un nouveau jardin d’hiver à chercher un printemps renaissant, ce besoin de mouvement, d’aller voir plus loin, être nomade sans craindre les dérobades. Entre le Mont Cinto et les aiguilles de Bavella, c’est là qu’elle se découvre enfin «on a deux jambes, on est fait pour marcher. J’ai compris que pour moi la marche c’était un vent de liberté». Passer par Veolia, ça donne des bases pratiques, elle dit « j’ai voulu me faire ma propre caisse à outils ». Dans les Cévennes, elle se  forme et débarque en Aveyron, sans retenue, sans perdre de vue ce fragile idéal. Un petit sac et trois babioles posés  à  Fondamente, ce village isolé, allongé dans les courbes de la Sorgues «j’ai cru repartir aussitôt mais je suis tombé amoureuse et je me suis enracinée dans ce territoire authentique. J’avais besoin de sens. C’était pour moi comme une guérison».

Ainsi naissent les «randonnées de Marie», la petite entreprise de Marie l’indépendante, sur ce Larzac lui rappelant à bien des égards  sa Bretagne natale, l’horizon enfin bien plus grand qu’un simple paillasson pour ouvrir le champ des possibles, offrir l’immersion, découvrir les plantes, regarder et sentir le feu crépiter, dormir à compter les étoiles en plein bal des rochers du Truel, trouver des mots simples pour qualifier le peu, l‘essentiel offert par la nature. Un privilège, à proposer un florilège  de saveurs, de senteurs mais surtout apprendre à voir, à écouter ceux et celles qui ont cette terre entre leurs mains gercées, rugueuses et calleuses. Marie explique « dans la «Rando du Loup», on parle avec des éleveurs. Dès lors que l’on mange du fromage, de la viande, que l’on porte de la laine, j’estime que nous sommes tous impliqués». Dans la «Rando Larzac», c’est l’histoire d’une lutte. Elle crisse, elle crépite sous la semelle de la chaussure en avalant ces 16 kilomètres de randonnée au départ de La Jasse pour rejoindre le Rajal del Gorp puis les fermes par le Roc Pounchut «je lis des textes, parfois j’ai du mal à finir mes phrases car l’émotion me submerge ». Il n’y a plus qu’à déplier, défroisser et ouvrir ce grand livre à ciel ouvert «un jour, un homme vient vers moi, il me dit « vous marchez dans mes pas». Il s’agissait du journaliste Yves Hardy, âgé de 26 ans lors de la lutte et  auteur d’un livre culte résumant ces années de révoltes paysannes.  Elle définit cette marche sur cette terre devenue familière par un seul mot «l’émerveillement». Même en ces deux mois de confinement, elle choisit ce temps offert pour ralentir, ralentir, slow good, slow good «même si j’ai perdu cinq semaines de travail, j’ai pris le temps de m’asseoir et d’observer. Cela m’a donné un nouvel élan. Moi, j’ai besoin de temps. Le temps, c’est mon allié». Elle trouve même l’occasion  de trouver un compagnon, un chéri, pour se sentir reliée à la chair, à l’humeur, à la sueur. Il habite la «ferme de la voie lactée». Le destin fait parfois bien les choses.

Et puis écrire, écrire dans ce petit calepin moucheté de rose des mots crayonnés à la mine, écriture grise, pas tout à fait noire pour consigner le temps qui passe. Elle ne parle pas de mélancolie, elle ne nomme pas les tourments, les errances, elle ne parle pas de souffrance, elle lâche ce mot «mes préoccupations». Elle raconte « j’ai des ancêtres paludiers, pour moi, le sel est purificateur ». Alors elle respire lentement puis elle écrit. Elle ouvre une enveloppe, une pincée de sel puis elle lèche les bords de la missive et prend son baluchon. Trouver une grotte, le Larzac, c’est un Emmental géant, elle n’a que l’embarras du choix pour dénicher un refuge, poser son sac et ramasser quelques branches mortes pour allumer un feu purificateur «je m’assois sur une peau d’agneau. Parfois je demande pardon, je me confie et je brûle l’enveloppe».

La petite Marie laisse le feu se consumer et la flamme s’évanouir. Elle reprend son baluchon. Il peut faire nuit, qu’importent les ombres déliées, certaines formes déchaînées, c’est même peut-être mieux. Elle marche pieds nus, qu’importe la pierre coupante, l’épine déchirante, c’est même peut-être mieux. Elle dit simplement «je me nourris de la marche à pied».  Ici et ailleurs, c’est toujours quelque part, c’est parfois nulle part.

Texte et photographies réalisés les 8 et 9 mai 2020 à MillauPour infos : http://les-randonnees-de-marie.fr/

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