AVEYRON, LE CRASH DU RUNNING
Les grands évènements running sont une vraie richesse pour le département de l’Aveyron en termes d’attractivité touristique. Avec l’annulation en cascade de toutes les grandes épreuves telles que la Course du Viaduc, les 100 km de Millau, les Templiers, c’est toute une économie locale menacée. Bilan noir d’une saison blanche dans un contexte sans perspective à l’horizon.
Laurent Sturtz est peu connu du monde du running dans l’Aveyron. Même s’il compte plusieurs participations aux Templiers, édition 2005, une révélation, même s’il fut en 2017 dans l’organigramme de la Course du Viaduc, comme prestataire technique avec sa société Run for You.
Depuis quelques jours, le manager a pris son gamin sous le bras, sa valise et son vélo dans le coffre, direction la Bretagne. Pour s’écarter de ce tumulte, de cet effondrement qu’il qualifie ainsi «nous vivons un vrai crash». L’événementiel sportif au fond du gouffre, le grand sacrifié, la grande victime de la crise sanitaire. Laurent Sturtz, comme la presque quasi totalité des gérants de sociétés évoluant dans ce milieu en pleine croissance jusqu’en ce début d’année 2020, a réduit la voilure, pavillon en berne, les salariés en chômage partiel, la surface des bureaux divisée par 5, les frais fixes réduits à leur strict minimum…en bref, courber l’échine et ne pas céder au découragement après l’annulation de la totalité des évènements prévus à leur actif dont la Course du Viaduc, l’Eco Trail, le semi de Boulogne, la corrida des Pères Noël à Issy les Moulineaux. Rideau de fer baissé dans un grand crissement de colère.
Plus près de nos grands Causses et du Mandarous, la boutique Endurance Shop et son manager Guilhem Prax. Jeudi 29 octobre, au petit matin, tout juste 6 heures sonnés, dernière escapade du côté de la Roque, la grimpette jusqu’au Paleyrou, Pierrefiche et redescente dans la vallée du silence. Dernier jour en mode liberty, dernier jour à ouvrir son petit bouclard, cette petite caverne où l’on vient collé-serré pour autant acheter que humer cette atmosphère si particulière, celle du trail, de la course en liberté où le jeune entrepreneur joue les «allo maman bobo» en rassurant tout en conseillant. Droit dans ses baskets à crampons, son constat est simple «les grands opérateurs internet, ce seront encore eux les grands gagnants de ce confinement. Ils s’organisent déjà avec leur stock. Le plus gros risque pour nous petits diffuseurs, c’est la durée du confinement. S’il dure plus d’un mois à l’approche de Noël, je ne sais pas comment nous pourrons résister». Et puis ces questions sans réponse dans le flou irrésistible d’une situation immaitrisable « Le Trail de la Cité de Pierres, vais-je l’organiser ou l’annuler une seconde fois ? Et si nous organisions une course virtuelle sur 1 km au profit de la Ligue Contre le Cancer ? » Quand pourrons nous accueillir à nouveau les jeunes à l’Ecole de Trail ?
En Aveyron, le running pèse lourd. Un des départements français les plus riches en compétitions de renom, l’un des plus dynamiques, si ce n’est le plus dynamique si l’on applique le ratio au nombre d’habitants. Pas moins de 90 épreuves dont 70 trails réunissant 26 000 inscrits en 2019. Avec des fleurons, des courses emblématiques et historiques à renommée internationale, les Templiers, la Course du Viaduc et bien entendu, la doyenne, la vénérable 100 km de Millau et dans leurs sillages, 7 épreuves frôlant ou dépassant les 1000 concurrents. Aucun département rural ne peut se targuer d’une telle richesse, le running pouvant revendiquer la place de leader dans le sport populaire en Aveyron et plus largement en Occitanie.
20 000 NUITEES DE PERDUES, 10 MILLIONS D’EUROS ENVOLES
Ici comme ailleurs, le running compétitif s’est écrasé au sol comme un dirigeable prenant feu. Depuis le 17 mars 2020, date du premier confinement, moins de 5 épreuves ont sauvé leur peau, les autres sont passées à la trappe provoquant là aussi de l’Aubrac aux Grands Causses, un vrai «crash» impactant le tissu associatif et évènementiel. Dernière annulation en date, l’Hivernale des Templiers prévue à Roquefort le 6 décembre, 3000 dossards inscrits au bilan dans la case «perte définitive et non compensable».
Ce vide a permis d’encore mieux cerner l’impact et l’apport indéniable de cette économie générée par la course à pied dans un département où la saison touristique est globalement circonscrite autour de la période 14 juillet – 15 août.
Avec l’annulation des grands évènements allongeant la saison d’attractivité d’avril avec la Trans-Aubrac à décembre avec l’Hivernale, ce sont plus de 20 000 nuitées de perdues et près de 10 millions d’euros évaporés dans l’air nauséabond du Covid. Sans compter la perte d’activité d’opérateurs privés locaux engagés dans ces organisations (sonorisateurs, restaurateurs, logisticiens, accompagnateurs moyenne montagne, sécurité, design…la liste est longue). Ils affichent des chutes vertigineuses de leurs chiffres d’affaires annuels déjà modestes à l’image de Pierre Toussaint. Ce jeune entrepreneur qui a fait de l’Aveyron et de Mostuéjouls dans les Gorges du Tarn son «chez moi» évolue depuis plusieurs saisons dans l’univers de la course nature comme organisateur ou bien comme chef de projet pour des épreuves régionales en Occitanie. Bilan de sa saison 2020, le Trail des Avens sauvé d’une extrême justesse, pour le reste, page blanche et désolation au point d‘envisager une reconversion professionnelle d’urgence, il passe un brevet d’Etat en eaux vives pour rebondir en 2021 si la situation perdure dans un tel chaos.
Car à ce jour, l’intégralité des évènements majeurs qui font la richesse et la promotion de notre territoire comme destination nature sont en sursis. Allons-nous vers une nouvelle année blanche ? Ou bien vers de nouveaux modèles organisationnels moins fragiles face aux contraintes draconiennes, parfois déraisonnées et à géométrie variable, (le passage du Tour de France à Millau ne s’oublie pas…) imposées à la gestion du sport dans sa globalité ? La crise du Covid s’annonce durable, le sport local et le running en particulier sources d’échange, de santé, d’initiatives a sombré dans le crépuscule. Le vide est proche.
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