Amélie Mazenc dévoile son handicap sur Instagram
Amélie Mazenc vit depuis près de 20 ans en fauteuil roulant, le corps atrophié par une maladie génétique. Mais la jeune femme de Vézins de Lévézou conserve une vision de la vie résolument optimiste, et elle a choisi de la partager à travers les réseaux sociaux, où elle lève le voile sur son quotidien de femme handicapée. Rencontre avec cette étonnante influenceuse handicapée, qui revendique sa féminité, et cultive la positive attitude.
D’abord une première question, certainement banale pour toi, celle de la pathologie, la myotrophie spinale infantile, qui t’a frappée bébé, et qui continue à peser sur ta vie. Peux-tu nous expliquer mieux de quoi il s’agit ?
C’est une maladie génétique qui s’est déclarée vers l’âge de 9 mois. Elle atteint tous les muscles de mon corps, ainsi que ma capacité respiratoire. Du coup, je me déplace en fauteuil roulant. Il y a des choses que je ne peux pas faire, où je dois anticiper en accessibilité. J’ai une machine respiratoire la nuit.
La gêne la plus importante est probablement de ne pas pouvoir marcher. Le problème respiratoire est probablement le plus grave au niveau santé ?
Le plus grave en hiver, oui. Un simple rhume peut être fatal. J’ai eu une forte grippe il y a deux ans, j’ai clairement failli y passer ! Une simple gastro me perturbe, je me déshydrate très vite. Un virus banal pour tout le monde peut se transformer en pneumonie.
J’ai pu voir sur ton blog que tu avais subi une grosse opération en 2012, pour réhabiliter la colonne vertébrale. De quoi s’agit-il ?
J’ai eu six opérations au niveau du dos. Celle de 2012 a été la définitive, c’est l’arthodèse. J’avais 12 ans, elle a duré plus de huit heures. Clairement, cela a été l’opération de ma vie. Je n’avais qu’un poumon qui fonctionnait. Du coup, il y avait 50% de chances que je ne me réveille pas.
C’était donc une grosse angoisse.
Oui, mais à 12 ans, on est un peu inconscient. Je ne me rendais pas compte. Maintenant, je me dis que c’était costaud. Mais à l’époque, j’y suis allée sereine. Jusqu’au matin de l’opération, j’étais très calme. Quand je me suis réveillée, j’ai dit ça s’est bien passé !
J’ai pu voir sur ton blog les images de cette opération. On mesure vraiment ce que tu as surmonté !
C’est ça. Beaucoup me disent Pour toi, ça a été facile. J’ai souffert, mais pas tant que ça, j’ai eu des complications, mais ça s’est réglé. Je voulais montrer que c’est une grosse opération, que c’est risqué, mais finalement, si c’était à refaire, je le referai demain. Ca a été une réussite, car au niveau capacité respiratoire, je respire mieux, je suis moins malade. J’ai aussi pris du poids, car mon organisme est mieux, le transit est mieux aussi. J’ai eu vraiment que du positif.
Cette opération montrée sur ton blog correspond à tes débuts sur les réseaux sociaux. Ton souhait est de montrer ton quotidien sur les réseaux, et tu publies sur Instagram, Facebook, TikTok.
Exactement. Je veux montrer que oui, je suis handicapée, oui, c’est une grave maladie, oui, tout ça est vrai. Mais dans ma vie, je peux faire plein de choses. Je suis très heureuse. Je fais ce que j’aime. Et oui, la vie est belle. Même si elle ne m’a pas gâtée, elle est belle !
Tu écris souvent des messages d’espoir sur ton Instagram.
Oui, car même dans le négatif, il y a quelque chose à retirer du négatif. Une situation compliquée, oui, il y a le coronavirus, c’est compliqué pour tout le monde, moi, la première. Mais finalement, je me dis qu’il y a pire que moi. Certes, il y a mieux, mais il y a pire. Il y en a qui sont dans la rue, tout seuls, ils n’ont pas de moyens de communication. Finalement, on n’a pas trop le droit de se plaindre…
Quelles sont les perspectives de traitement pour cette maladie ?
Il y en a plusieurs. Pour le moment, je n’ai accès à aucun. J’espère y avoir accès dans les années, voire les mois à venir, pour au moins stabiliser la maladie. Il y a 20 ans, quand je suis née, il n’y avait pas de traitement. Maintenant, il y en a deux qui sont sûrs. C’est long, mais ça évolue. C’est un peu d’espoir tout de même.
Quand tu as commencé à échanger sur les réseaux sociaux, était-ce d’abord avec des gens concernés par la maladie comme toi ?
Oui. C’est ce qui m’a donné cette idée. Quand j’étais plus jeune, je discutais avec des femmes qui avaient 35-40 ans, qui sont mariées, qui ont des enfants, et j’ai trouvé que c’était trop bien. Je me suis dit pourquoi ne pas montrer ce côté-là ? Moi, j’aimais beaucoup les réseaux sociaux, la communication, le partage. Je me suis dit Montre ta vie. Car finalement, les gens ne la connaissent pas, et même de ma famille. Des cousins éloignés m’ont dit on ne savait pas que tu vivais tout ça. Ils me disaient Nous, on a l’image de toi sur le fauteuil et souriante. On ne voit pas l’Amélie hors du fauteuil.
Sur toutes les images que tu montres, tu as toujours le sourire. C’est ta marque de fabrique !
Pour moi, le sourire, c’est la vie, c’est primordial.
Malgré tout, depuis 20 ans, il y a sûrement eu des moments de découragement ? Bien gardés au secret.
Je ne sais pas ? Pour moi, le moment le plus compliqué, c’est il n’y a pas longtemps, quand j’ai arrêté le lycée. C’est le seul moment où je me suis dit Oui, c’est chiant. C’est vraiment le seul moment. Mais au niveau de ma maladie, jamais.
As-tu as suivi une scolarité normale jusqu’au BTS ou bien avec des horaires aménagés ?
J’ai eu des horaires aménagés à partir de la seconde, où j’ai eu des matières en moins. Et en sixième, on m’avait enlevé l’art plastique et la musique. J’ai fait mon bac sur 3 ans au lieu de 2. C’est quand j’étais au Lycée Jean Vigo, pour mon BTS, où ça a été beaucoup plus compliqué. Du coup, en septembre, j’ai dit j’en ai marre. Il y avait un cas contact Covid, et j’ai dû être déscolarisée temporairement. J’ai envoyé un message à tous les professeurs pour leur demander ce qu’ils pouvaient mettre en place temporairement pour moi, pour que je récupère les cours. Et aucun professeur ne m’a répondu. Cela m’a agacée. J’ai dit à Maman, c’est bon, j’arrête tout, j’en ai marre de me battre contre les moulins à vent. Du coup, j’ai voulu suivre ce BTS gestion PME par correspondance par le biais du CNED. Puis Maman m’a dit Pourquoi tu ne fais pas un truc qui te plaise vraiment ? Ca me plaisait. Mais quels étaient mes débouchés ? est-ce que je pouvais être assistante de gestion à plein temps ?? Non. Finalement je ne me voyais pas tellement l’utiliser. Maman m’a dit Tu es passionnée par tout ce qui est contenu, réseaux sociaux, pourquoi ne pas essayer une formation sur ça ? J’ai trouvé cette formation de Community Manager. Et je fais un truc qui me passionne.
Actuellement, tu es en fait ton propre Community Manager. Tu as même inventé la marque Studio Mazenc. Tu réalises souvent des montages amusants de photos !
J’essaie de proposer des choses qui vont plaire et qui ne vont pas lasser les gens. Je me suis lancée il y a un an, début 2020. Parfois, je suis un peu à court d’idées, mais je trouve toujours des jeux, des trucs positifs à leur faire partager à travers mon handicap.
Tu as tissé un relationnel avec des influenceuses connues. Certaines t’ont-elles encouragée ?
Certaines m’ont dit que c’était bien ce que je faisais. C’est vrai que le handicap, on n’en parle pas assez. Pour beaucoup, c’est un sujet tabou. Elles m’ont dit que c’est bien que tu veuilles le faire, et que tu pourras peut-être changer le regard sur le handicap. Certaines me répondent en direct, elles ont été touchées par mon handicap. Elles me trouvent pétillante.
Le handicap est souvent tabou. Au quotidien, tu lèves le voile sur ta vie personnelle, et même intime. Est-ce facile pour toi ?
Certaines personnes qui ont la même maladie que moi n’en parlent pas et ne l’acceptent pas. Pour moi, c’est comme ça. Je suis Amélie, je suis née handicapée, je suis comme ça. Que je veuille me battre ou pas, il faudra l’accepter. Donc autant l’accepter, autant être positive, faire ma vie, faire ce que j’ai envie de faire.
Tu n’es jamais en colère ?
Non, jamais. Ca ne m’est jamais arrivé par rapport à ma maladie. C’est comme ça, c’est la vie.
Quel relationnel avais-tu avec les autres jeunes au collège et au lycée ?
Au collège, c’était beaucoup plus compliqué. Il y avait le côté enfant. La différence écarte. Je n’avais pas beaucoup d’amis. C’est vraiment au lycée que j’ai eu des vrais amis, qui m’ont dit On te voit Amélie, on ne voit pas ton fauteuil. Cela fait plaisir. Ils ont compris le message que je veux faire passer. J’étais contente quand ils m’ont dit ça. En sixième, j’ai eu un problème avec mes amies du primaire. Le jour de la rentrée, aucune n’est venue vers moi pour me dire bonjour, parce qu’elles avaient fait une sortie vélo dans l’été. Elles m’ont laissée tomber. Je me suis retrouvée en sixième avec zéro copine, et une auxiliaire de vie que je ne connaissais pas. Je l’avoue, je l’ai mal pris. Mais je me relève toujours.
Tu as dédié un post très marrant à ton fauteuil, qui renvoie à tes problèmes alimentaires. Car tu ne peux pas manger normalement. Pourquoi ?
Je mange normalement, mais je suis vite rassasiée, ou vite dégoûtée. Si je vois une trop grosse quantité, cela m’écoeure. Je mange peu. Je prends des compléments pour grossir et stabiliser mon poids. Ces soucis alimentaires sont liés à la maladie. Dans ma maladie, soit on est trop maigre, soit on est trop gros. Il n’y a pas de juste milieu. Il n’y en a pas un qui est « normal ». C’est trop ou pas assez.
Tu pèses 30 kg. Quel impact sur ta santé ?
Oui, je pèse 30 kg à 21 ans. Combien de fois les médecins m’ont dit qu’à l’adolescence, j’allais perdre au niveau des capacités physiques, de la force, la rétractation. Car j’ai oublié de dire que je suis rétractée au niveau des genoux, des hanches, des coudes. Ils m’avaient annoncé que je perdrais beaucoup, et surtout au niveau respiratoire. Mais moi, je n’ai jamais perdu, j’ai même gagné. Du coup, je me dis Oui, je suis handicapée, mais je suis plutôt bien.
C’est le résultat de ta grande volonté ?
Oui, c’est le mental qui fait tout. Je veux aller bien, donc je vais bien. Je fais aussi des exercices avec un kiné, pour éviter que mon corps se rétracte plus qu’il ne l’est.
Tu dis que tu veux lever les tabous sur le handicap, cela t’amène à aborder tous les sujets. Comme de dire je veux être handi et sexy. C’est une jolie formule !
J’ai 20 ans, je veux qu’on me voie en tant que femme. Et pas comme elle est handicapée, donc elle n’a pas d’envie. J’ai des envies comme toute personne de mon âge. Cette phrase, elle est sortie comme ça, et je me suis dit qu’elle est bien, et qu’elle percute. Ca veut dire ce que ça veut dire !
On voit que tu accordes beaucoup de soins à ta tenue, ta coiffure, ton maquillage. Comme une jeune fille de ton âge. Tu ne veux pas apparaître comme une personne handicapée qui se laisse aller.
C’est important pour moi. Oui, je suis une femme. Certes, j’ai un fauteuil, il y a plein de difficultés. Mais je suis une femme de 20 ans. J’ai envie d’être belle, d’être désirable. Je fais tout pour l’être.
Comment est accueilli ce travail sur Instagram autour de toi, auprès des personnes qui te suivent sur Instagram où tu as plus de 1600 followers. As-tu des interactions avec elles ?
Oui, beaucoup m’ont écrit « Je me vois dans tes posts ». Je souffre de myotrophie spinale, mais plein de personnes se retrouvent dans les posts, même avec d’autres types de handicaps. Plein m’ont dit « J’aimerais beaucoup avoir ta gnaque, j’aimerais être comme toi, et ton profil me donne du baume au cœur pour me battre ». Car beaucoup se laissent aller. Quand je reçois ce genre de message, je me dis que je sers à quelque chose. On me dit que j’aide les gens, que je suis positive. Je me dis c’est ce que je voulais.
D’où vient cette gnaque ?
De mes parents ! Mes parents m’ont toujours expliqué ce qu’était la maladie. Ils ne m’ont jamais rien caché. Même toute petite, ils m’ont expliqué, avec des mots d’enfants. J’avais 3 ans. Le fait qu’ils ne me cachent rien aide à relativiser.
A quel moment as-tu ressenti la différence avec les autres enfants ?
Je ne l’ai jamais mal vécue, et je ne me suis jamais sentie en retrait. C’est un peu gros ce que je vais dire, mais pour moi, certains sont blonds, bruns, et moi, je suis en fauteuil. A 3 ans pour moi, c’est ça. Lui, il y a les yeux bleus et moi, je suis en fauteuil. Cela s’arrêtait là. Je me vois au même niveau que lui. Certes, il a deux bras, deux jambes. Moi aussi, j’ai deux jambes, mais elles ne marchent pas. Je ne me suis jamais sentie en retrait par rapport aux autres. C’est vrai qu’encore aujourd’hui, on me dit que tu le vis bien. Et je réponds, que tu as bien des tâches de rousseur et pas moi. J’ai une différence. Certes, elle est plus grosse que les autres.
Pour toi, c’est intégré à ta vie, et tu ne t’imagines pas autrement ?
C’est ça. Même quand on me demande si j’ai hâte de marcher, j’ai du mal à dire. Car je ne sais pas ce que ça fait. Je me dis que la Amélie d’aujourd’hui est handicapée, en fauteuil, et que la Amélie qui marche, je ne la connais pas. Cela fait partie de moi.
Y a-t-il un espoir que tu puisses marcher ?
Disons qu’on peut dire que oui, mais pour me protéger, je me dis que Non. Je préfère me protéger. Le jour où on me dit Vous avez la possibilité de marcher, je verrai à ce moment-là.
Un handicap, c’est aussi une vie bouleversée pour toute la famille, et également une grosse logistique. Comment ça se vit au quotidien ?
Au quotidien, ce sont des soins, de la toilette le matin, le coucher le soir. Quand je suis malade, c’est une surveillance H24. La nuit aussi, j’appelle énormément. Une bonne nuit, j’appelle 2-3 fois, une mauvaise, cela peut être 15 fois ! Du coup, Papa ou maman se lèvent. Quand je veux faire quelque chose, c’est est-ce que je vais pouvoir rentrer, est-ce qu’il y a une marche, est-ce qu’il n’y aura pas un couac ??? Il faut toujours anticiper.
Est-ce que cela te rend anxieuse ?
Non. Il faut anticiper, mais il faut aussi se laisser porter. Si on anticipe tout tout le temps, le jour où ça ne se passe pas comme prévu, ça embête tout le monde. Il faut essayer de gérer, et ne pas paniquer.
Cela met beaucoup de pression sur les parents.
Oui. Et sur mon frère aussi. Il y a plein de choses qu’il n’a pas fait par rapport à un enfant de son âge, ou qu’il a fait en décalé. Par exemple, le ski, il n’y est allé que vers 10 ans, car je ne pouvais pas y aller. Il faut aussi essayer de gérer la fratrie.
C’est compliqué avec lui ?
Il ne l’a jamais mal vécu, mais je pense qu’au fond de lui, il est parfois embêté.
Et toi, est-ce parfois lourd de toujours être dépendante de quelqu’un, que ce soit Audrey, ton auxiliaire de vie, qui t’a accompagnée de la 5ème au BTS, ou ta famille ?
Ca ne m’a jamais gênée. Je suis quelqu’un de très bavarde. Quand je suis seule, j’ai tendance à m’ennuyer. Je ne suis pas une fille solitaire. Finalement qu’ils soient tout le temps avec moi, cela ne me gêne pas tant que ça. J’aime bien mon moment seule, quand ils vont se promener avec Raphaël, où je mets la musique à fond. C’est mon délire à moi. Mais je suis contente quand ils reviennent pour pouvoir discuter.
On peut dire qu’après cet épisode difficile du lycée, tu as maintenant retrouvé un bon équilibre de vie ?
Oui, je suis bien, je fais quelque chose que j’aime. J’ai aussi des contacts avec Kévin Bertrand, pour les Templiers, je travaille avec lui pour des petites missions. Ma formation me plaît. Elle dure un an, mais elle peut être faite sur 3 mois, 6 mois, ou 9 mois. J’avance à mon rythme je vais finir rapidement.
Arrives-tu à travailler rapidement ?
Cela dépend de mon état de santé. Si je suis malade ou fatiguée, je ne peux pas travailler beaucoup. C’était le problème à Jean Vigo. Les profs me mettaient des cours le matin à 8 heures. Mais j’ai déjà une heure de préparation le matin, sans compter les machines respiratoires si je suis encombrée, et les trajets. Je ne peux pas me lever à 5 heures tous les matins. Les profs ne comprenaient pas, ils me disaient Oui tu es souriante. Mais bon, venez 24 heures avec moi et vous comprendrez….
Entretien réalisé par ODILE BAUDRIER
Marie Laure MAZENC, constamment à l’écoute de sa fille
« Mon mari et moi étions très jeunes quand on a appris la maladie d’Amélie. J’avais 22 ans et mon mari 24. Moi, j’ai toujours senti qu’il y avait un souci. La maladie s’est déclarée quand elle avait 9 mois. Je le sentais, je le disais à son pédiatre, il ne m’écoutait pas. A force, on m’a entendue. On a appris la maladie 9 mois après son apparition. Du coup, le fait de ne pas avoir nié cette maladie nous a aidé à vivre avec. Je me vois partir pour l’hôpital de Rodez pour les résultats. On traverse Pont de Salars, c’était le jour du Téléthon. Je répète à mon mari qu’on va nous annoncer qu’elle ne marchera pas. Il me répond que je suis folle, qu’on va l’opérer. Je voyais les banderoles du Téléthon défiler, et je me disais quand tu reviens, tu es dans leur famille…
C’est lourd, je ne vais pas vous le cacher. Moi, je venais de trouver un travail de secrétaire commerciale à Rodez en septembre. J’ai appris la maladie le 7 décembre. J’ai continué pendant 1 an, mais il y avait des séances de kiné régulièrement, les visites à l’hôpital, les séances respiratoires, car elle était très malade petite. C’était très compliqué à gérer. J’ai arrêté mon travail. J’ai toujours mis ma vie entre parenthèses pour elle. Je me suis lancée depuis un an dans la vente à domicile. C’est un moyen pour moi de me sortir de ma vie, à 40 ans. Amélie va partir, elle trouvera l’homme de sa vie ou pas. Moi, j’ai fait tous ces sacrifices que je ne regrette absolument pas. Je me dis si elle devient la jeune femme qu’elle est, aussi battante, c’est qu’à un moment, on a réussi quelque chose car on l’a portée comme on a pu. Mais j’ai voulu me bouger, reprendre un travail pour l’avenir. Sauf qu’en septembre, elle a pris la décision d’arrêter le lycée. Là, je l’ai mal vécu intérieurement car justement, j’essayais de voir plus loin sur l’avenir. Du coup, elle est maintenant 24 sur 24 à la maison. Au lycée, je la déposais, j’étais sereine la journée. C’est une angoisse permanente de la laisser seule un moment. Le seul lien est le téléphone et j’ai toujours peur qu’il tombe. Je ne suis jamais sereine. Je lui envoie des messages toutes les 30 minutes.
Le quotidien avec Amélie est plus compliqué car on vieillit. A 42 ans, la fatigue pèse. On s’occupe d’elle une nuit sur deux avec mon mari. Si on devait m’enlever quelque chose, ce serait les nuits, car ça commence à tirer. Après, la toilette. On avait instauré des infirmières. Mais ça change tout le temps et pour l’intimité d’Amélie, c’est un peu compliqué. Le matin, je ne me demande pas si j’ai bien dormi ou si je me suis levée 15 fois, je m’occupe d’elle. Amélie est là. Mais je ne cache pas que c’est parfois avec une certaine fatigue.
Si j’ai une chose à remercier de la vie, c’est de m’avoir donné un enfant malade à 20 ans, et pas à 40 ans ! Car je n’aurais jamais eu la même pêche. On me dit que si on nous a mis cette maladie sur notre chemin, c’est qu’on est capable de l’assumer. C’est un peu facile de dire ça ! Nous, on rêverait comme tout le monde, de ne pas avoir rencontré cette maladie.
Amélie n’a parlé que du positif. Mais il n’y a pas eu que du positif pendant 20 ans. Il y a eu des démarches très lourdes, des dossiers compliqués à remplir. Il faut toujours se battre. Pour son premier fauteuil, elle l’a eu à 2 ans. Pour les auxiliaires de vie. Il y a 20 ans, c’était difficile de les avoir. Maintenant, c’est plus facile. Elle avait démarré l’école sans.
Au niveau de la scolarité, la 6ème au Collège Pont de Salars avait bien commencé. Mais il y a eu des problèmes en 5ème, au changement de Directeur, il était inhumain sur le handicap. Il nous avait dit qu’Amélie serait traitée comme un autre enfant dans son collège. En 3ème, elle a changé pour Jeanne d’Arc à Millau, où on a trouvé une vraie humanité. Cela fait énormément de bien. Aujourd’hui encore, on a une surveillance permanente pour Raphaël pour qu’il ne ramène pas le covid à la maison. Dès qu’il y a une inquiétude dans sa classe, nous sommes prévenus. Je trouve ça humain et tellement rassurant pour nous.
J’ai validé son choix de changer d’orientation. Moi, je fonce sur tous ses projets. Une collègue de la vente à distance m’a fait remarquer qu’Amélie faisait des bons posts pour moi, des jolies vidéos. J’ai dit à Amélie qu’elle faisait ce BTS par dépit. Comme moi d’ailleurs, puisqu’à l’époque, j’avais fait ce même BTS par dépit, car mes parents n’avaient pas les moyens que je quitte Millau. Et moi, je suis dans une angoisse par rapport à elle. Elle a failli mourir il y a deux ans, de la grippe. J’ai pensé « Si elle attrape le COVID demain, ce sera quoi les 6 derniers mois de sa vie ? Faire un BTS chiant à distance ? C’est mieux qu’elle fasse quelque chose qui lui plaise puisqu’elle reste à la maison, à moitié confinée ». Je lui ai dit « Fais un truc qui te plaît, éclate-toi ». Et elle est partie dans cette formation de Community Manager. Elle a trouvé son équilibre. Elle est heureuse. Moi, je suis très ouverte par rapport à tout ce qu’elle peut proposer, même complètement superflu. Ca vaut le coup d’essayer. On n’a pas les moyens financiers, mais tout ce que je pourrai faire pour l’accompagner, même dans ses projets les plus fous, je le ferai. Quand je vois l’apport intime que ça lui apporte, la joie de vivre, la positive attitude. Le résultat est là.
Moi, mon problème en tant que maman est de ne pas délaisser un enfant. C’est compliqué pour Raphaël. Déjà, la grossesse a été difficile. Mon mari et moi sommes porteurs du gène. Cela veut dire 1 risque sur 4 d’avoir un enfant malade. Après Amélie, il y a eu une fausse couche, puis un avortement car l’enfant était aussi porteur du handicap. Cet avortement est ancré en moi. C’est le choix que j’ai fait pour cet enfant, c’est un échec pour moi qui restera ancré toute ma vie. Puis Raphaël est arrivé après une grossesse très stressante. Je me suis occupée d’Amélie, laver, porter, jusqu’au dernier jour.
C’est toujours mon problème de délaisser Raphaël. Raphaël n’a jamais eu sa place de petit dernier, il est le frère d’Amélie. Pour l’association Marchons pour Amélie, les gens viennent toujours parler à Amélie, lui apporter des cadeaux. C’est toujours mon problème. L’autre jour, il n’y a pas longtemps, il m’a dit j’aimerais bien qu’on parle de moi. Il a dit à Amélie, je t’ai enviée, j’étais jaloux. Pourtant, il n’a jamais montré qu’il était en colère contre elle, il a pris sur lui. Il n’a jamais rien montré. Quand il marchait à peine, il avait appris à aller lui chercher la télécommande. Elle peut lui demander d’allumer la télé, jamais il ne râlera. Parfois, on s’agace contre Amélie, car elle a une autorité forte. Je l’ai habituée comme ça, j’allais toujours la servir de suite. Mon mari m’a dit que c’est un tort. Après, je pense que j’ai cette culpabilité en moi d’être porteuse du gène. On vit avec mais au fond de nous, on l’a tout de même. Je veux qu’elle soit le plus possible heureuse car je me sens coupable. Bien sûr, c’est la faute à personne, mais c’est tout de même, nous les parents porteurs de ce gène, qui l’avons rendue malade.
Amélie est si sereine. Pour son opération, c’est elle qui a pris la décision. Le chirurgien lui a proposé deux solutions. Elle a pris la décision devant nous. Pour le vaccin, c’est pareil, elle me demande toujours mon avis, je le lui donne, elle se décide. C’est sa vie. Elle se vaccine ou pas, je l’accepte. Moi, j’irai me faire vacciner dès que possible. J’ai toujours accepté de subir pour Amélie. Mais là, j’ai du mal à accepter qu’elle puisse se vacciner et moi non, alors que je suis son aidante principale. Mais à mon désespoir, je ne suis pas prioritaire ! »
Entretien réalisé par ODILE BAUDRIER